Contes populaires d’Afrique (Basset)/5

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E. Guilmoto, Éditeur (Les Littératures populaires, tome XLVIIp. 12-15).

III. — BERBÈRE
a) Berbère de Tripolitaine.
I. — GHAT[1]

5

DJAH’A ET SA FEMME[2]


Des gens allèrent trouver Djah’a et lui dirent :

— Marie-toi.

Il répondit :

— Je ne me marierai pas jusqu’à ce que le fleuve m’amène une femme.

— Comment le fleuve peut-il t’amener une femme ?

— Je vous le dis, c’est comme cela.

Il arriva que Djah’a vit un jour une femme à la porte de la ville : il alla vers cette étrangère et lui dit :

— Qui es-tu ?

— Je suis de tel pays.

— Où vas-tu ?

— Je vais dans cette ville.

— Que feras-tu ?

— J’y habiterai.

— As-tu des enfants ?

— Non, je n’en ai pas.

— En as-tu eu ?

— J’en ai eu un qui est mort tout petit.

— Tu m’apporteras sa maladie.

— Comment peut-on apporter la maladie d’un enfant qui est mort en bas âge ?

Il lui demanda :

— Veux-tu que je t’épouse ?

— Je veux bien.

Ils entrèrent en ville et allèrent chez les chefs pour célébrer leur mariage.

Ils demeurèrent unis jusqu’à la saison des pluies. Tous les gens partirent pour labourer leurs champs. Quand Djah’a y fut allé, il donna un vigoureux coup et découvrit un trésor, un pot plein d’or. Il le déterra, acheta des dattes, du blé, du beurre ; quant au reste de l’or, il le mit dans une vieille outre.

À ce moment arrivèrent des pèlerins. Un homme vint trouver la femme de Djah’a et lui dit :

— Donne-moi une vieille outre pour y mettre de l’eau.

— Je n’en ai pas de vieille, répondit-elle.

Une voisine lui dit :

— J’ai vu en haut de chez vous une vieille outre.

— La femme de Djah’a monta, la prit et la donna au pauvre.

— Dieu te bénisse dans tes enfants ! lui dit-il.

— Je n’ai pas d’enfants, répondit-elle ; j’en avais un et il est mort petit.

— Que Dieu lui fasse miséricorde ! reprit le pèlerin.

— Je n’ai eu d’enfant que celui-là et il est mort.

— Que Dieu lui fasse miséricorde !

Il arriva qu’un jour Djah’a monta sur sa terrasse ; il chercha la vieille outre où était l’or ; elle avait disparu. Il demanda à sa femme :

— Où est l’outre qui était là-haut ?

— Il est venu un pauvre qui me l’a demandée ; il a prié pour mon fils ; je suis montée, je l’ai prise et je la lui ai donnée.

Djah’a reprit :

— Ne t’avais-je pas dit que ton fils nous nuirait bien qu’il fût mort ! Tu disais : Comment le mal peut-il provenir d’un mort ?

Djah’a alla acheter une grande et belle outre et demanda :

— Qui veut changer une vieille outre pour une neuve ?

Un pauvre lui dit :

— Prends cette vieille outre et donne-moi une neuve.

Il la lui donna : C’était celle qui contenait l’or ; il reprit ce qu’elle contenait sans que le pauvre en eût rien su. Puis il revint et répudia sa femme.




  1. La ville de Ghat, située au sud de Tripoli, entre cette ville et le Soudan, est habitée par une population qui parle un dialecte touareg.
  2. Krause, Proben der Sprache von Ghat in der Sahara, Leipzig, 1884, in-8, p. 31-54.