Contes populaires d’Afrique (Basset)/9

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E. Guilmoto, Éditeur (Les Littératures populaires, tome XLVIIp. 25-27).

c) Berbère d’Algérie.
I. — GRANDE KABYLIE

9

LE LION, LE CHACAL, LE MULET ET L’ASSEMBLÉE DES ANIMAUX[1]


Un jour, tous les animaux se réunirent dans un endroit. Ils se dirent entre eux :

— Faisons une ruse contre le mulet pour le manger. Questionnons-nous mutuellement sur notre père : celui qu’on interrogera devra dire qui est son père. Le mulet ne le dira pas, car il a pour père un âne, il en aura honte ; il ne dira pas : l’âne est mon père ; nous dirons alors entre nous : celui qui ne nommera pas son père, nous le mangerons.

Ils se mirent à s’interroger mutuellement et commencèrent par le lion :

— Oncle Abou’l H’arith, qui est ton père ?

— Le lion.

Ils continuèrent par le chacal :

— Moh’and, qui est ton père ?

— Le chacal.

Ils passèrent à l’âne :

— Qui est ton père ?

— L’âne.

Puis au bœuf :

— Qui est ton père ?

— Le bœuf.

Puis au cheval :

— Qui est ton père ?

— Le cheval.

Ils arrivèrent au mulet :

— Qui est ton père ?

— Le cheval est mon oncle maternel.

Ils se mirent à rire, le laissèrent et passèrent aux autres. Ils firent la même question au hérisson, à la tortue, à la hyène, à la fouine, au renard, au lévrier, au sanglier et au chien qui tous firent une réponse semblable.

Quand ils eurent fini, ils revinrent au mulet et lui dirent :

— Allons, mulet, dis-nous qui est ton père ?

— Je vous dirai seulement que le cheval est mon oncle maternel.

— Nous te demandons après ton père, non après ton oncle.

— Eh bien, voyez : mon père a mis de l’écriture à mon pied ; regardez cette écriture, vous trouverez mon nom.

Le chacal alla l’examiner de loin. Il dit au lion :

— Oncle Aboul H’arith, c’est à toi qui as de bons yeux de déchiffrer les lettres qui sont là, parce que cette écriture-là est griffonnée ; de plus, j’ai mal aux yeux, ils n’y voient pas. Allons, regarde, toi, tu as de bons yeux ; c’est toi qui déchiffreras ces lettres.

Le lion s’avança pour examiner de loin. Le mulet lui dit :

— Avance, toi, pour bien voir.

Il s’approcha ; le mulet le laissa faire. Quand il fut près d’arriver à son pied, l’autre se dressa sur ses pieds de devant et le frappa avec ceux de derrière ; il l’atteignit au front et le renversa en arrière.

En le voyant tomber et se débattre, le chacal se précipita sur lui et le saisit par la queue pour le dévorer. Le lion lui dit :

— Moh’and, est-ce là ce dont nous sommes convenus ?

— Pour moi, répondit le chacal, c’est celui qui tombe que je prends pour ma nourriture. Si c’était le mulet qui fût tombé, c’est sur lui que je me serais jeté. Comme c’est toi, laisse-moi me rassasier de ta chair ; c’est là ma chance.



  1. Mouliéras, Légendes et contes merveilleux de la Grande Kabylie, 1re partie, 2e fasc., no xviii, Paris, E. Leroux, 1894, in-8, p. 235-238.