Contes secrets Russes/L’onguent merveilleux

La bibliothèque libre.
Contes secrets Russes (Rousskiia Zavetnia Skazki)
Isidore Liseux (p. 149-160).

LII

L’ONGUENT MERVEILLEUX


Dans certain pays vivait un jeune paysan dont les affaires n’allaient pas bien : une épizootie avait fait périr toutes ses bêtes à cornes et tous ses chevaux, à l’exception d’une jument. Cet animal, il se mit à le choyer, à l’aimer comme la prunelle de ses yeux ; il se privait de tout pour que sa jument ne manquât de rien. Un jour, après lui avoir donné ses soins, il commença à la caresser, à lui parler avec tendresse : « Ah ! ma colombe ! matouchka ! Il n’y a pas plus jolie que toi ! » La fille du voisin, une grosse paysanne, entendit ces paroles et, quand les jeunes villageoises furent réunies dans la rue, elle leur dit : « Oh ! mes amies ! Pendant que j’étais dans notre potager, Grigorii, notre voisin, a pansé sa jument ; ensuite il a fait l’amour avec elle, l’a embrassée, lui a dit des douceurs : Ma colombe ! matouchka ! Il n’y a pas plus jolie que toi au monde ! » Dès lors, le gars fut en butte aux risées des filles du village ; partout où elles le rencontraient, elles lui criaient : « Ah ! matouchka ! ma colombe ! » Le pauvre jeune homme n’osa plus se montrer nulle part et tomba dans une profonde tristesse. Sa vieille tante s’en aperçut : « Pourquoi es-tu chagrin, Gricha ? Pourquoi baisses-tu la tête ? » Il lui raconta toute l’affaire. — « Ce n’est rien, Gricha, » reprit-elle, « j’arrangerai cela. Viens demain chez moi. Sois tranquille, elles ne se moqueront plus de toi. »

La vieille pratiquait la médecine, ce qui lui donnait beaucoup d’importance dans la localité, et les jeunes filles allaient chez elle à la veillée. Le soir, elle vit la paysanne qui avait ébruité l’affection déréglée de Grigorii pour sa jument. « Ma fille, » lui dit la vieille, « passe chez moi demain matin, j’aurai à te parler. — Bien, grand’mère. » Le lendemain, le jeune homme se leva, s’habilla et se rendit chez sa tante. « Allons, Gricha, tiens-toi prêt à fonctionner ; mais, pour le moment, mets-toi derrière le poêle et reste là bien tranquille jusqu’à ce que je t’appelle. » À peine avait-il pris place derrière le poêle, que la jeune paysanne arriva. « Bonjour, grand’mère. — Bonjour, ma colombe ! Voici ce que j’ai à te dire : tu files un mauvais coton ; tu es fort malade, ma chère ! — Eh ! grand’mère, il me semble que je me porte parfaitement. — Non, ma colombe, tu as un mal interne auquel on ne peut même penser sans frayeur ; maintenant, tu ne le sens pas ; mais quand cela sera parvenu au cœur, il n’y aura plus de remède, tu mourras ! Laisse-moi te tâter le ventre. — Tâte, grand’mère, » répondit la jeune fille ; peu s’en fallait qu’elle ne pleurât déjà, tant elle était effrayée. — « Vois-tu, je ne m’étais pas trompée, » observa la vieille, après lui avoir palpé l’abdomen, « hier, au premier regard jeté sur toi, j’ai deviné que tu avais quelque chose de mauvais, un ictère dans le voisinage du cœur. — Traite-moi, je t’en prie, grand’mère. — Sans doute, puisque tu es malade, il faut te traiter ; mais sauras-tu supporter le traitement ? Je t’avertis qu’il est douloureux. — Fais-moi tout ce que tu veux ; quand tu me taillerais le corps avec un couteau, peu m’importe, pourvu que tu me guérisses ! — Eh bien ! mets-toi là, debout, passe ta tête par la fenêtre et examine de quel côté il passe le plus de monde, si c’est à droite ou à gauche ; mais ne regarde pas derrière toi, autrement mon remède ne produirait aucun effet, et tu mourrais d’ici à quinze jours. » Tandis que la jeune fille, docile à ces instructions, regardait dans la rue, la vieille lui écarta les jambes : « Penche-toi un peu plus sur l’appui de la croisée, » dit-elle, « et ne te retourne pas, je vais te frictionner avec de l’onguent de goudron. » Puis, à voix basse, elle appela son neveu : « Allons, à la besogne ! » Le gars s’approcha de la jeune fille et lui fourra son onguent à quatre verchoks de profondeur. Sentant le remède agir, la patiente commença à frétiller du κυλ. « Grand’mère ! chère grand’mère ! » s’écria-t-elle, « frictionne-moi, frictionne-moi encore avec ton onguent de goudron ! » Grigorii, son affaire achevée, se retira derrière le poêle. « Eh bien ! ma fille, » dit la vieille, « à présent, tu vas être superbe de santé et de fraîcheur ! » La paysanne la remercia avec effusion : « Merci, grand’mère ! Tu as là un fameux remède ! C’est un vrai charme ! — Mes médicaments ne font jamais de mal, et celui-ci est d’une grande utilité pour les femmes et les jeunes filles. Mais de quel côté as-tu vu passer le plus de monde ? — À droite, grand’mère. — Ah ! quelle chance tu as ! Allons, retourne chez toi, et que Dieu te protège ! »

La jeune fille sortit, et le gars ne tarda pas, lui aussi, à prendre congé de la vieille. Après son dîner, il mena sa jument boire à la rivière. La paysanne, l’ayant aperçu, s’élança vers lui et se mit à crier : « Ah ! matouchka ! ma colombe ! — Ah ! grand’mère, chère grand’mère, frictionne-moi, frictionne-moi encore avec ton onguent de goudron ! » repartit railleusement Grigorii. À ces mots, la paysanne se mordit les lèvres, et depuis lors elle vécut en bons termes avec le gars.

Autre version

Un jeune homme avait pris l’habitude de passer devant la demeure d’un marchand ; arrivé vis-à-vis de cette maison, il toussait, crachait, puis observait à haute voix : « Je me suis engoué à manger de l’oie. » Voilà qu’un jour la fille du marchand lui dit : « Mon père a beaucoup d’argent, mais il ne mange pas de l’oie tous les jours. — Ce n’est pas la fortune qui fait le bonheur, » repartit l’autre, et il retourna chez lui. La fille du marchand appela une vieille mendiante : « Suis ce jeune homme, » lui ordonna-t-elle, « et sache ce qu’il va manger pour son dîner : tu ne m’auras pas donné pour rien ce renseignement. » Quand le jeune homme fut arrivé chez lui, la mendiante, qui lui avait emboîté le pas, demanda la permission de se reposer un moment dans l’izba ; on la laissa entrer. La plus grande pauvreté régnait dans cette maison. « Ma mère, » demanda le jeune homme, « y a-t-il quelque chose à manger ? — Il y a du chtchi d’hier et du kacha d’avant-hier. — Donne-moi le kacha. » La mère servit ce mets, en faisant remarquer qu’on n’avait pas de beurre. — « Si tu pouvais seulement me donner du suif ? — Tiens, voilà un bout de chandelle. » Il mêla cet assaisonnement à son kacha et se mit à manger avec avidité.

La mendiante raconta tout cela à la fille du marchand. Peu après, le jeune homme repassa devant la maison du marchand ; il toussa, cracha, puis fit entendre sa phrase accoutumée : « Je me suis engoué à manger de l’oie ! — Il a mangé du kacha avec un bout de chandelle ! » cria par la fenêtre la fille du marchand. — « Ah ! que le diable l’emporte ! Comment sait-elle cela ? Pour sûr, c’est la mendiante qui le lui a appris ! » Il se mit à la recherche de cette femme et, l’ayant retrouvée, lui dit : « Ne peux-tu pas arranger cette affaire ? quand j’aurai de l’argent, je reconnaîtrai tes services. — Bien, » répondit la vieille, et elle se rendit aussitôt chez la fille du marchand : « Comment vas-tu, mademoiselle ? — Je sois souffrante, grand’mère, j’ai toujours des douleurs dans le ventre. Est-ce qu’il n’y aurait pas moyen de guérir ce mal ? — Si ; fais chauffer un bain, je te frotterai le ventre avec de la graisse. » On prépara le bain ; la mendiante qui, au préalable, avait caché le jeune homme dans la cabine, y mena ensuite la fille du marchand, la déshabilla, et quand elle fut toute nue, lui dit : « Allons, mademoiselle, il faut que je te bande les yeux, pour que tu ne te trouves pas mal. » Après avoir noué un mouchoir sur les yeux de la malade, la vieille la coucha sur un banc. « Maintenant, » fit-elle, « je vais te frictionner avec une graisse légère, » et elle promena sa main à deux reprises sur le ventre de la jeune fille. « À présent, ce sera un peu plus rude. » Alors, sur un signe de la vieille, le jeune homme s’approcha de la fille du marchand et l’attaqua si furieusement, qu’elle jeta les hauts cris. « Un peu de courage, mademoiselle ! Au commencement, cela fait toujours mal, mais c’est l’affaire d’un instant ; ensuite ça ira tout seul, et ton ventre sera guéri. » La demoiselle trouva bientôt le traitement à son goût. « Frotte-moi, grand’mère, » dit-elle, « frotte, ta graisse est bonne. » L’opération terminée, le jeune homme regagna sa cachette, et la vieille ôta le bandeau à la fille du marchand. Celle-ci aperçut alors du sang sous elle : « Qu’est-ce que c’est que cela, grand’mère ? — C’est du mauvais sang que tu as rendu ; tu vas mieux ? — Oui, grand’mère ! Ah ! tu as là une fameuse graisse, elle est plus douce que du miel ! Ne me frotteras-tu pas encore ? — Est-ce que tu en veux encore ? — Oh ! oui, grand’mère ! voilà que le ventre recommence à me faire un peu mal ! » La vieille lui banda de nouveau tes yeux, la fit coucher sur le banc, et le jeune homme se remit à l’ouvrage. « Frotte, grand’mère, frotte, ta graisse est excellente ! » dit la fille du marchand. Quand il eut achevé sa besogne, le gars disparut. La malade se leva : « Grand’mère, » fit-elle, « apporte-moi de cette graisse ; voici cent roubles pour les soins que tu m’as donnés. » Ainsi finit l’affaire.

Voilà que le jeune homme revient devant la maison du marchand avec son antienne accoutumée : « Je me suis engoué à manger de l’oie. » À quoi la jeune fille répond, en criant par la fenêtre. « Il a mangé du suif de chandelle avec son kacha ! » Et le gaillard de répliquer : « Frotte, grand’mère, frotte ; ta graisse est excellente ! »

Cependant la taille de la jeune fille prenait un développement anormal ; sa mère s’en aperçut : « Qu’est-ce que cela, ma fille ? » lui demanda-t-elle, « tu ne sors pas de la maison et pourtant ton ventre devient énorme. — Ah ! ma mère, vois-tu, c’est depuis que cette vieille bonne femme m’a conduite au bain : elle m’a frotté le ventre avec de la graisse, et une si bonne graisse, plus douce que du miel ! » La mère devina la vérité ; elle fit venir la mendiante et l’interrogea : « Tu as mené ma fille au bain et tu l’as frottée avec de la graisse ? — Oui, madame. — Frotte-moi aussi. — Volontiers. » Elle courut aussitôt chez le jeune homme : « Habille-toi et viens vite : la marchande veut être graissée ! » On se rendit à l’établissement de bains. La vieille banda les yeux de la marchande, la coucha sur un banc, et le jeune homme procéda avec la mère comme il l’avait fait avec la fille. Au cours de l’opération, la marchande arracha brusquement le mouchoir qu’elle avait sur les yeux et, en apercevant le gars, elle l’embrassa pour le récompenser de son travail. « Eh bien ! mon garçon, » lui dit-elle, « je suis mariée depuis vingt ans, et une pareille jouissance m’était encore inconnue. Voici cent roubles pour toi ; sois le mari de ma fille. » Le jeune homme épousa la riche héritière, et il y eut à cette occasion un grand dîner ; j’y ai moi-même assisté, j’ai bu du vin et de l’hydromel : on en avait à bouche-que-veux-tu !

Autre version

Un soldat était adonné à la boisson ; souffrant d’un asthme, il alla trouver une femme qui pratiquait la médecine. Quoique avancée en âge, cette femme avait encore du tempérament. En apercevant le soldat, elle sentit une démangeaison entre ses jambes. « Qu’est-ce que tu veux, militaire ? — Je suis asthmatique et je viens te prier de me guérir. — Déshabille-toi et assieds-toi. » Le soldat obéit et la praticienne plaça devant lui une bouteille d’eau-de-vie. « Bois, militaire, tant que le cœur t’en dira. » Le visiteur ne se fit pas prier ; bientôt l’ivresse se manifesta sur son visage, finalement il roula à terre et s’endormit. Alors la vieille commença à le peloter, promenant sa main d’abord jusqu’au nombril, puis plus bas encore. « Ah ! que je suis étourdie ! » s’écria-t-elle tristement, « j’en ai fait une belle ! Bien loin d’avoir acquis plus d’énergie, son membre est complètement affaissé… » Elle étendit le dormeur sur le lit, se coucha elle-même près de lui et essaya par de nouveaux attouchements de ranimer la virilité du soldat. Mais celui-ci continuait à ronfler comme un tuyau d’orgue. Après l’avoir chatouillé en vain une dernière fois, la vieille s’endormit à son tour. Un peu avant l’aurore, le soldat s’éveilla ; à la vue de la femme couchée à côté de lui, il se dit : « Si je la prenais de biais ? », et il se mit en devoir de la βαισερ. Arrachée au sommeil, la rusée commère feignit l’indignation : « Qu’est-ce que tu fais là, militaire ? Comment n’es-tu pas honteux ? » Mais, tout en parlant ainsi, elle prit la posture la plus propre à faciliter la besogne du soldat. « Eh bien ! grand’mère, est-ce que c’est mauvais pour un malade ? En ce cas, je vais l’ôter. — Qu’est-ce que tu dis là, militaire ! Au contraire, fourre-le le plus avant que tu pourras, cela te fera du bien ! » Quand il eut βαισέ la vieille, le soldat s’en alla en disant : « Je ne sais pas si cela me fera du bien, mais j’en avais envie. »

Malheureusement pour lui, dans la soupente était alors couchée une jeune fille, nièce de la vieille ; elle vit toute cette scène et la raconta à ses amies ; dès lors le soldat fut en butte à leurs sarcasmes : « Il a fait l’amour avec la vieille, il a fait l’amour avec la vieille ! » lui cornaient-elles sans cesse aux oreilles. À bout de patience, il alla conter ses doléances à sa maîtresse d’une nuit. « Ah ! mon bienfaiteur, » répondit-elle, « que ne m’as-tu dit cela plus tôt ? j’aurais fait cesser les railleries de ces péronnelles ! Ah ! les pécores ! Est-ce que le trou d’une vieille ne vaut pas le leur ? Où donc prennent-elles le droit de se moquer ainsi ? Écoute, militaire : je reçois la visite d’une jeune fille que je traite pour une hernie ; viens ici demain soir, tu te cacheras dans le lit, je dirai à la fille de se mettre à quatre pattes, et tu lui en donneras en long et en large ! »

Le lendemain, à l’heure indiquée, le soldat se rendit chez la vieille et se fourra dans le lit. Au bout d’une demi-heure arriva la jeune fille ; dès que le soldat l’eut aperçue, il entra en érection. La vieille examina la visiteuse et lui dit : « Ma chère, des puces ont fait leur nid entre tes jambes, il n’y a pas moyen de les ôter autrement qu’avec la main, et si on les laisse là, tu es perdue ! — Grand’mère, sois assez bonne pour m’en débarrasser, je t’en supplie ! — Allons, il n’y a pas à dire ! Je n’aurais pas voulu fourrer ma main dans cet endroit-là, mais il le faut. Tiens, voilà un mouchoir, bande-toi les yeux, ôte tous tes vêtements et mets-toi à quatre pattes. » La jeune fille fit tout ce qu’on lui avait ordonné ; après quoi le soldat s’approcha d’elle, prit son membre à deux mains et le lui introduisit dans le κον. La patiente alors de crier : « Cela me fait mal, grand’mère, cela me fait mal ! — Un peu de courage, ma chérie ! Vois-tu, ces maudites puces se sont tellement multipliées, il y en a jusque dans l’orifice ! » Le soldat ayant pénétré à la profondeur de quatre verchoks, ce furent de nouvelles plaintes : « Aïe, grand’mère, je meurs ; cela me fait mal, ma chère, cela me fait mal ! — Attends, mon enfant, je vais essayer avec de l’onguent de goudron, peut-être que tu t’en trouveras mieux. » Le soldat alla aussi avant qu’il put, la jeune fille se mordit la langue, mais, ensuite, sentant l’effet de la graisse, elle s’écria : « Tiens, à présent, grand’mère, c’est bon ! Vraiment, cela me fait du bien ! Ne peux-tu pas me frotter encore avec ton onguent ? j’en suis toute ravigotée ! Je prendrai un seau de goudron chez mon père et je te l’apporterai. » Entendant ces paroles, le soldat appliqua tous ses efforts à satisfaire la jeune fille, et fit si bien qu’il élargit considérablement l’ouverture par où il était entré. « Eh bien ! éprouves-tu un soulagement ? » demanda la vieille, « il me semble qu’elles sont toutes crevées ! — Comment donc, grand’mère ! À présent, je vais beaucoup mieux ! » Le militaire se cacha, la malade se releva, remit ses vêtements et sortit.

Le lendemain, la jeune fille, maintenant large comme un entonnoir, rencontra le soldat et commença à le taquiner : « Il a besogné la vieille, il a besogné la vieille ! — Mais c’est meilleur avec l’onguent de goudron ! » répondit-il.