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Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 1 Avertissement

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Œuvres de P. Corneille, Texte établi par Ch. Marty-LaveauxHachettetome I (p. i-xvi).

AVERTISSEMENT.

Notre premier soin a été de constituer le texte de cette édition avec exactitude et sincérité. Si ce devoir eût été généralement mieux rempli par nos devanciers, nous n’aurions sur ce point aucune observation à faire ; mais comme en nous rapprochant de Corneille nous nous éloignons souvent de ceux qui ont publié ses œuvres, sans pouvoir en avertir en chaque circonstance, nous prions tout d’abord le lecteur qui voudrait s’assurer par lui-même de l’exactitude de notre travail, de remonter aux éditions données par notre poëte, et de ne considérer comme fautifs que les passages qui ne se trouveraient pas conformes à ces impressions anciennes, les seules qui fassent autorité : nous avons cherché à les suivre fidèlement, et si, par hasard, nous nous en écartions en quelque endroit, ce qui, nous l’espérons, n’arrivera que bien rarement, ce serait du moins contre notre volonté et par suite d’une erreur toute matérielle. Au contraire, la plupart de ceux qui nous ont précédé, alarmés des moindres singularités grammaticales, des hardiesses de style les plus légitimes, se sont hâtés de corriger, avec une sollicitude qu’ils croyaient respectueuse, les passages qui offusquaient leur goût.

Ce n’est pas seulement, comme on pourrait le croire, dans le courant du dix-huitième siècle qu’il en a été ainsi. La dernière édition des œuvres de Corneille, publiée par M. Lefèvre et recherchée à bon droit comme la plus complète, ne se distingue guère à cet égard des précédentes.

On lit dans un Sonnet à M. de Campion sur ses hommes illustres :

J’ai quelque art d’arracher les grands noms du tombeau,
De leur rendre un destin plus durable et plus beau,
De faire qu’après moi l’avenir s’en souvienne :
Le mien semble avoir droit à l’immortalité.

Cette tournure excellente a choqué les éditeurs, et, où il y avait le mien ils ont mis mon nom détruisant ainsi, afin de faire disparaître une incorrection imaginaire, toute la vivacité de ce passage.

Les altérations de ce genre ne tombent pas seulement sur les ouvrages de second ordre : elles défigurent parfois de très-beaux morceaux des chefs-d’œuvre de Corneille.

À qui venge son père, il n’est rien d’impossible,

dit Rodrigue au Comte[1]. C’est ainsi que ce vers est imprimé dans toutes les éditions courantes, ainsi qu’il est dit au théâtre, ainsi qu’il est récité dans nos collèges ; seulement, par un scrupule d’exactitude, M. Lefèvre fait remarquer que de 1637 à 1648 on lit :

À qui venge son père, il n’est rien impossible,

sans le mot de. Qui s’aviserait de soupçonner après cela que cette dernière leçon (Il n’est rien impossible) est la seule exacte, la seule qui se trouve dans toutes les impressions surveillées par Corneille, et encore dans celle de 1692, dont son frère a pris soin ?

Ce n’est pas là un fait unique, isolé. On a souvent admis de la sorte, comme par pitié, en variante, la leçon authentique émanée de Corneille, tandis qu’on insérait dans le texte une correction inutile ou un rajeunissement maladroit. Une seule pièce nous fournira trois nouveaux exemples de ce singulier genre d’inexactitude.

Corneille a dit dans Cinna :

De quelques légions qu’Auguste soit gardé,
Quelque soin qu’il se donne et quelque ordre qu’il tienne,
Qui méprise sa vie est maître de la sienne[2].

Et plus loin :

Le ravage des champs, le pillage des villes,
Et les proscriptions, et les guerres civiles
Sont les degrés sanglants dont Auguste a fait choix
Pour monter dans le trône et nous donner des lois[3].

Enfin :

On a fait contre vous dix entreprises vaines ;
Peut-être que l’onzième est prête d’éclater,
Et que ce mouvement qui vous vient agiter
N’est qu’un avis secret que le ciel vous envoie[4].

« Qui méprise sa vie est maître de la sienne » a paru amphibologique aux éditeurs ; ils ont mis : « Qui méprise la vie. »

« Monter dans le trône » les choquait ils y ont substitué la phrase aujourd’hui consacrée : « monter sur le trône. »

Ils ont pensé que l’agitation d’Auguste ne devait pas durer plus longtemps que le morceau dans lequel il l’exprime, et, par suite de ce raisonnement : « Qui vous vient agiter » est devenu « qui vous vient d’agiter. »

M. Lefèvre a reproduit ce texte sans paraître soupçonner qu’il eût subi la moindre altération. Toutefois, pour chacun de ces vers, il a admis comme variante la rédaction de Corneille, qui ne figurait à aucun titre dans les impressions postérieures à 1692. C’est toujours un progrès[5].

En général, nous avons suivi, pour chaque ouvrage, la dernière édition donnée par l’auteur ; mais on verra par les notes que nous l’avons toujours soumise à un contrôle sévère, à une attentive révision.

Le Théâtre de P. Corneille, de 1682, si important pour l’ensemble du texte, fourmille de fautes typographiques, contre lesquelles il faut se tenir continuellement en garde. Souvent un vers entier s’y trouve passé ; parfois un mot y est estropié ; plus fréquemment encore il est remplacé par un autre qui semble avoir un sens, et c’est certes là le cas le plus difficile et le plus délicat.

Dans cette édition de 1682, Médée, pour ne citer qu’un exemple, parle ainsi dans la ive scène du Ier acte :

Filles de l’Achéron, pestes, larves, furies,
Fières sœurs, si jamais notre commerce étroit
Sur vous et vos serments me donna quelque droit
Sortez de vos cachots avec les mêmes flammes,
Et les mêmes tourments dont vous gênez les âmes.

Le sens n’a en lui-même rien d’absolument invraisemblable, et, si l’on n’avait que ce texte, il ne viendrait peut-être pas à l’esprit d’y introduire une correction ; mais, quand on s’est convaincu que toutes les éditions antérieures portent serpents au lieu de serments, il est difficile de voir dans ce dernier mot autre chose qu’une faute d’impression ; aussi n’hésitons-nous pas à le rejeter, en le mentionnant toutefois en note, afin que le lecteur soit toujours complétement renseigné sur la constitution du texte.

Les variantes n’ont pas été de notre part l’objet d’une moindre attention ; nous n’avons pas cru qu’il nous fût permis de rien exclure, de rien sacrifier. Nous nous sommes appliqué à faciliter l’étude des éditions données par Corneille, et à fournir les moyens de suivre sans fatigue la pensée du poëte dans ses progrès et parfois dans ses défaillances, à travers toutes les rédactions successives qu’il a tour à tour adoptées.

Elles sont fort nombreuses : il y a pour les œuvres de la première moitié de sa carrière dramatique, trois états principaux et un grand nombre de retouches intermédiaires, que nous ne rappelons ici que fort sommairement, mais dont on se rendra compte d’une manière plus complète, en parcourant les variantes et la notice bibliographique. On trouve d’abord l’édition en pièce séparée, à laquelle les recueils publiés de 1644 à 1657 changent peu de chose, bien qu’il y ait déjà çà et là un certain nombre de vers à recueillir. En 1660, l’économie du recueil est entièrement modifiée : les dédicaces, avis au lecteur, arguments des premières impressions et les fragments d’historiens et de poètes placés en tête de certaines tragédies, soit lors de leur publication, soit en 1644, disparaissent, et font place à d’autres préliminaires. L’édition est divisée en trois tomes ; en tête de chacun se trouve, pour la première fois, un des Discours sur le théâtre et la série consécutive de tous les examens des pièces contenues dans le volume. Ces examens forment ainsi comme des chapitres d’un même ouvrage ; et, en les séparant, les éditeurs les ont altérés en plus d’un endroit [6]. Les impressions de 1663 et de 1664 ne contiennent encore que des variantes de détail ; puis on arrive enfin à celles de 1668 et de 1682, qui diffèrent fort peu l’une de l’autre. La seconde, dont nous avons déjà parlé, est la dernière que l’auteur ait revue, et doit être incontestablement la base même du texte de Corneille[7].

Malgré les objections spécieuses de quelques bons esprits et l’exemple du plus consciencieux éditeur de Corneille, M. Taschereau, qui a cru devoir publier seulement les variantes d’un grand intérêt historique ou littéraire, nous avons entrepris de reproduire dans tous leurs détails jusqu’aux moindres de ces changements[8].

Corneille commence à écrire à une époque où la plus grande licence règne dans la comédie. Plus modeste, plus retenu que ses contemporains, il cède encore parfois à son insu à la contagion de l’exemple ; mais à mesure que le théâtre, grâce à son influence, s’épure davantage, il s’applique à faire disparaître quelques scènes un peu libres, quelques expressions hasardées. Une édition où les divers textes de ses premières pièces sont tous réunis, permet donc d’apprécier d’un coup d’œil le progrès qui s’est accompli à cet égard en peu d’années.

Pour l’histoire de la langue, les variantes sont plus utiles encore. Elles nous font connaître l’instant précis de la disparition des termes surannés, des constructions tombées en désuétude, et nous montrent, contre toute attente, le grand Corneille, superstitieux observateur des règles de Vaugelas, s’appliquant sans cesse à modifier dans ses œuvres ce qui n’est pas conforme aux lois nouvelles introduites dans le langage.

Enfin, on comprend de reste, sans que nous insistions, combien ces études sont indispensables aux personnes qui veulent aborder sérieusement la critique et l’histoire de notre littérature ; pour les avoir négligées, l’auteur d’un article d’ailleurs fort estimable, intitulé les Contemporains de Corneille[9], est tombé dans une bien étrange erreur : il compare à des fragments de diverses pièces jouées vers 1630, le commencement de Mélite non tel qu’il a été écrit d’abord, mais tel qu’il a été refait en 1660, et il s’écrie avec étonnement : « Voilà les premiers vers de Corneille ; à l’exception d’un mot, il n’y a rien qui ait vieilli. »

Il ne suffisait pas d’avoir la volonté bien arrêtée de recueillir toutes les variantes, ni même de parvenir à se procurer les éditions où elles se trouvent, il fallait encore trouver la manière la plus expéditive et la plus sûre d’exécuter le travail. M. Ad. Régnier, qui dirige la collection des Grands écrivains de la France avec une vigilance infatigable et une sûreté de goût des plus rares, a eu l’excellente idée de convoquer pour cette collation autant de lecteurs que nous avions de textes différents. Ce mode de révision, qui sera employé pour tous les auteurs auxquels il pourra utilement s’appliquer, nous paraît être le moyen le plus sûr d’arriver à une exactitude presque absolue[10].

Après avoir dit jusqu’où nous avons poussé le scrupule à l’égard des variantes, il est presque inutile d’ajouter que nous avons fait tous nos efforts pour réunir et publier jusqu’aux plus minces productions sorties de la plume de Corneille. Cette tâche, aujourd’hui pénible, l’eût été beaucoup moins au siècle dernier, mais alors les éditeurs se regardaient comme des juges, chargés de procéder à un choix des plus sévères, et ils omettaient de propos délibéré ce qui ne leur semblait pas excellent. L’abbé Granet en convient avec une grande naïveté dans la Préface des Œuvres diverses[11], et les efforts successifs de plusieurs générations d’éditeurs n’ont sans doute pas encore suffi à retrouver tous les opuscules qu’il avait alors sous la main et qu’il a négligés volontairement.

Des publications récentes fort curieuses, quelques recherches personnelles, d’obligeantes communications et surtout des hasards heureux nous ont permis d’augmenter cette édition de bon nombre de lettres et de pièces de vers de Corneille, et de quelques morceaux importants à la composition desquels il a pris une part difficile à déterminer, mais qui paraît incontestable.

Nous sommes parvenu à retrouver l’épitaphe latine du P. Goulu, que M. Taschereau a signalée le premier comme étant de Corneille, mais qui avait échappé à ses recherches.

Nous ajouterons aux poésies diverses un assez grand nombre de pièces :

Un quatrain qui figure, en 1631, en tête du Ligdamon et Lidias de Scudéry, et que M. Triçotel a recueilli, en 1859, dans le Bulletin du bouquiniste ;

Une épigramme publiée en 1632 dans les Mélanges poétiques, à la suite de Clitandre et que personne cependant ne semble avoir connue ;

Une pièce en l’honneur de la Vierge, composée en 1633 pour le Palinod de Rouen, et recueillie tout récemment par M. Édouard Fournier dans ses Notes surla vie de Corneille qui précèdent sa charmante comédie de Corneille à la butte Saint-Roch ;

Un compliment adressé la même année (1633) à Mareschal sur sa tragi-comédie de la Sœur valeureuse, publié par lui en tête de sa pièce ;

Un hommage poétique du même genre publié en 1635 par de la Pinelière, en tête de son Hippolyte, tous deux recueillis également par M. Édouard Fournier ;

Un remercîment aux juges du Palinod, improvisé en 1640 par Corneille, au nom de Jacqueline Pascal, signalé en 1842 par M. Sainte-Beuve dans son Histoire de Port-Royal, et publié plus tard par M. Cousin, mais qui ne se trouve pas dans l’édition de M. Lefèvre ;

Un sonnet qui a paru, en 1650, en tête de l’Ovide en belle humeur de d’Assoucy,

Un autre compliment du même genre, mais qui s’applique à un ouvrage bien différent, au Traité de la théologie des saints du P. Delidel, publié en 1668. C’est encore M. Édouard Fournier qui a renouvelé le souvenir effacé de ces deux dernières petites pièces.

Nous ajouterons quatre belles lettres à celles qu’on connaît. La première traite d’affaires ; elle a été signalée par M. Taschereau qui en a publié un curieux fragment ; les trois autres, toutes littéraires, adressées à M. de Zuylichem, secrétaire des commandements du prince d’Orange, et à l’abbé de Pure, sont entièrement inédites.

Dans l’édition de M. Lefèvre, les lettres sont, pour la plupart, rapprochées des ouvrages auxquels elles ont rapport ; nous avons préféré les classer tout simplement d’après leurs dates. Nous y avons joint celles qui ont été adressées à Corneille par Balzac et Saint-Évremont, et de la sorte s’est trouvée constituée pour la première fois une véritable correspondance de Corneille, composée de plus de vingt lettres ou fragments de lettres.

« Nous regrettons beaucoup, disait M. Lefèvre, en 1854, de ne pouvoir augmenter notre édition de la traduction en vers que Corneille a faite des deux premiers livres de la Thébaïde de Stace, mais les recherches de M. Floquet, de l’Académie de Rouen, de M. Aimé Martin, etc., etc., ainsi que les nôtres, n’ont eu aucun résultat. » Nous avons ajouté sans plus de succès nos investigations à celles de nos prédécesseurs. Nous avons pu seulement déterminer avec un peu plus d’exactitude la date de l’impression qui doit être fixée aux premiers mois de 1672, et nous avons soigneusement recueilli les trois vers conservés par Ménage. Reproduits par M. Taschereau dans son Histoire de la vie de Corneille, connus de M. Lefèvre, qui en parle sans les citer, ils ne figurent néanmoins jusqu’ici dans aucune édition des Œuvres de notre poëte. Ce n’est pas toutefois, on le comprend, pour annoncer une addition de ce genre que nous parlons ici de ce poëme ; mais il nous paraît utile d’attirer une fois de plus l’attention des bibliophiles et des amis de Corneille sur un fait si singulier. Il semble impossible en effet que cet ouvrage ait disparu pour toujours, et qu’à moins de deux cents ans de distance, et malgré les bienfaits de l’imprimerie, il en soit pour nous du père de notre théâtre comme de ces écrivains de l’antiquité dont certains livres ne nous sont connus que grâce aux fragments conservés par les grammairiens.

Le théâtre, comme on doit le penser, ne s’est guère accru ; nous reproduirons cependant deux publications, peu importantes en elles-mêmes, mais fort intéressantes pour l’histoire de la représentation des pièces de Corneille [12] : le Dessein d’Andromède et le Dessein de la Toison d’or. Ces desseins sont de véritables livrets très-semblables à ceux qui se vendent encore aujourd’hui dans les théâtres d’opéra. Nous sommes contraint d’ajouter qu’ils ne sont pas rédigés d’une manière beaucoup plus attachante. Notre poëte en est cependant bien l’auteur, car il dit en tête du Dessein d’Andromède : « J’ai dressé ce discours seulement en attendant l’impression de la pièce. »

Nous avons cru pouvoir extraire de la Comédie des Tuileries, pour le faire figurer dans notre édition, un acte, le troisième, dont la rédaction paraît très-vraisemblablement avoir été confiée à notre poëte ; néanmoins nous l’avons fait imprimer en petits caractères, afin que le lecteur put toujours distinguer à première vue ce qui est incontestablement de Corneille de ce qui peut seulement lui être attribué.

Cette précaution était encore plus nécessaire à l’égard des pamphlets publiés en sa faveur dans la querelle du Cid, et réunis par nous à la suite de la Notice relative à cet ouvrage. En effet, bien que Niceron les regarde comme de Corneille, et que Barbier lui en attribue au moins un, nous n’hésitons pas à déclarer qu’il n’en est point l’auteur ; mais écrits par ses amis, et très-probablement, sous son inspiration, ils renferment sur sa personne des particularités intéressantes ; ils sont d’ailleurs peu nombreux, assez courts, fort rares : c’était plus qu’il n’en fallait pour nous décider à les publier.

L’histoire des ouvrages de Corneille sera exposée dans des Notices historiques, littéraires et bibliographiques placées en tête de chacun d’eux, conformément au plan général adopté pour toute la collection des Grands écrivains.

Ces notices, dont nous aurons soin d’exclure les théories et les appréciations littéraires, afin de réserver plus de place aux faits certains et aux pièces originales, seront complétées et reliées entre elles par une Vie de Corneille, où il sera plus question de lui que de ses ouvrages, et dans laquelle l’homme passera avant le poëte.

Un portrait de Corneille avec les armes de sa famille, un fac-similé de son écriture, la vue de la maison où il est né, la reproduction de quelques anciennes gravures propres à faire mieux comprendre certaines particularités contenues dans ses œuvres, en seront un complément agréable et presque nécessaire, bien que tout nouveau.

Les éclaircissements généraux donnés dans les notices nous permettront de ne pas multiplier les notes et surtout de les rédiger avec une grande brièveté. La table de tous les noms de personnes et de lieux, et des principales matières contenues dans les œuvres de Corneille, dans les notices et dans les notes, facilitera d’ailleurs singulièrement les rapprochements et les recherches, et le Lexique qui terminera l’ouvrage contiendra la solution d’un grand nombre de problèmes relatifs à l’histoire du langage au dix-septième siècle. En accordant à ce dernier travail le prix du concours ouvert en 1858, l’Académie française m’a imposé le devoir de le rendre aussi digne qu’il serait en moi de cette honorable distinction. Une étude plus sérieuse et plus approfondie du texte de Corneille vient de m’en fournir les moyens ; puissé-je en avoir profité autant que je l’ai dû et voulu faire !

Ch. Marty-Laveaux.

  1. Le Cid, acte II, scène ii.
  2. Acte I, scène ii.
  3. Acte I, scène iii.
  4. Acte II, scène i.
  5. Voici, comme complément de ces remarques, un relevé des altérations de texte et des omissions que nous offre une autre pièce prise au hasard, le Pompée de l’édition de M. Lefèvre :
    ACTE I.
    scène i.
    Et je crains d’être injuste et d’être malheureux.

    Ce vers est donné comme une variante de 1644-48. C’est cependant la vraie et la seule leçon des éditions de Corneille ; « ou d’être malheureux » qu’on y a substitué dans le texte ne se trouve nulle part.

    scène iii.
    Il fut jusque dans Rome implorer le sénat.

    Ce vers, donné comme variante, n’existe pas dans les éditions citées. Toutes celles qui diffèrent du texte de 1682 portent : « Il fut jusques à Rome. »

    ACTE III.
    scène ii.
    Et plus j’ai fait pour vous, plus l’action est noire.

    Toutes les éditions données par Corneille portent : « Et j’ai plus fait pour vous. »

    scène iii.
    Vous qui la pouvez mettre au faîte des grandeurs !

    C’est la leçon des premières éditions ; mais en 1682 Corneille y a substitué : « vous qui pouvez la mettre, » qu’il aurait fallu faire passer dans le texte.

    ACTE IV.
    scène i.
    Il est mort ; et mourant, Sire, il doit vous apprendre,

    dans le premier passage cité comme variante. C’est « il vous doit apprendre » qu’il faut lire.

    Que je n’en puis choisir de plus digne que toi ;

    il y a dignes au pluriel, dans toutes les éditions publiées du vivant de Corneille.

    Lorsqu’avec tant de fast il a vu ses faisceaux.

    Cette forme curieuse du mot faste, qui se trouve dans toutes les éditions, n’est ni conservée dans le texte, ni même indiquée en note.

    scène iv.
    Et me laisse encor voir qu’il y va de ma gloire
    De punir son audace autant que sa victoire.

    Au lieu de autant que, il faut lire avant que dans ce passage donné en variante.

    ACTE V.
    scène i.
    Et n’y voyant qu’un tronc dont la tête est coupée,
    À cette triste marque il reconnoît Pompée.

    On donne comme variante du premier de ces vers pour les éditions de 1644-48 :

    Et n’y voyant qu’un tronc dont la tête coupée,

    qui n’a point de sens dans ce passage et ne se trouve d’ailleurs dans aucune des éditions citées.

    Ces restes d’un héros par le feu consumé.

    Les premières éditions portent : consommé, qui aurait dû être recueilli comme variante.

    Ajoutons que dans tout le théâtre les variantes, pourtant si curieuses, des jeux de scène, ont été recueillies avec la plus grande négligence, et que les Discours, avis Au lecteur, Examens n’ont pas même été collationnés.

  6. Voyez tome I, p. 13, note i, et p. 137, note i.
  7. Voici une liste complète des impressions auxquelles nous renvoyons pour les variantes dans les deux premiers volumes de cette édition :
    Édition originale de chaque pièce à part, présentant parfois deux états différents, comme par exemple pour Mélite (voyez ; tome I, p. 183, note 2, et p. 217, note 3).
    1644. Œuvres… Paris, Antoine de Sommaville et Augustin Courbé, in-12.
    1648. Œuvres… Rouen et Paris, Toussaint Quinet, in-12.
    1652. Œuvres… Rouen et Paris, Antoine de Sommaville, in-12.
    1654. Œuvres… Rouen et Paris, Augustin Courbé, in-12.
    1657. Œuvres… Paris, Augustin Courbé, in-12.
    1660. Le Théâtre… Rouen et Paris, Augustin Courbé, et Guillaume de Luyne, in-8°.
    1663. Le Théâtre… Rouen et Paris, Thomas Jolly, in-fol.
    1664. Le Théâtre… Rouen et Paris, Guillaume de Luyne, in-8°.
    1668. Le Théâtre… Rouen et Paris, Louis Billaine, in-12.
    1682. Le Théâtre… Paris, Guillaume de Luyne, in-12.

    C’est dans la première partie de ces recueils (celui de 1644 n’en a qu’une) que sont contenues les pièces de nos deux, premiers volumes.
    À partir du tome III, qui commencera par le Cid, nous indiquerons à la fin des diverses notices les éditions collationnées pour chaque pièce.
  8. Pour mener à bien ce difficile travail des variantes, nous avons eu grand besoin de communications et de secours, qui du reste ne nous ont jamais fait défaut. Les bibliothèques publiques et les bibliothèques privées nous ont prodigué leurs trésors avec une égale libéralité, et nous ne savons réellement qu’admirer le plus, des richesses bibliographiques de M. Cousin, de M. le comte de Lignerolles, de M. le comte de Lurde, de MM. Potier, Rochebilière et Salacroux, ou du noble usage qu’ils en font.
  9. Revue contemporaine, année 1854, p. 161 et 359.
  10. Je suis heureux de remercier ici mes collaborateurs dans ce pénible travail. Je dois citer d’abord M. Adolphe Régnier fils, dont l’heureuse mémoire m’a suggéré plus d’un utile rapprochement ; ensuite MM. Schmit et Alphonse Pauly, mes collègues de la Bibliothèque impériale ; enfin plusieurs employés fort méritants de la librairie de M. Hachette et de l’imprimerie de M. Lahure.
  11. 4e feuillet recto et 7e feuillet verso.
  12. Ces deux publications ont été signalées par nous pour la première fois, en 1861 : de la Langue de Corneille, p. 46.