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Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 1 Notice biographique sur Corneille

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Œuvres de P. Corneille, Texte établi par Ch. Marty-LaveauxHachettetome I (p. xvii-lxi).
NOTICE BIOGRAPHIQUE
sur

PIERRE CORNEILLE[1].

Corneille est issu d’une famille de robe dans laquelle le prénom de Pierre était réservé aux fis aînés bien avant qu’il l’eût porté.

Pierre Corneille, arrière-grand-père du poëte, ne remplissait sans doute point de fonctions publiques, car son nom n’est suivi d’aucune qualité dans les actes où il se lit. Son fils, Pierre Corneille, épousa en 1570 Barbe Houel, qui appartenait à une famille noble, et fut dotée par son oncle, Pierre Houel, sieur de Vandelot, vieux garçon, greffier criminel du Parlement et notaire secrétaire de la maison et couronne de France. Pierre Houel fit admettre son neveu au greffe en qualité de commis ; bientôt après, celui-ci traita d’une petite charge de conseiller référendaire à la chancellerie et se fit recevoir avocat. Ce Pierre Corneille eut pour fils, en 1572, Pierre Corneille, père du poète, puis Antoine et François Corneille, ses deux oncles. Le 5 mai 1599, le père de Corneille obtint du Roi des provisions de maître particulier des eaux et forêts en la vicomté de Rouen, et fut reçu en cette qualité le 31 juillet de la même année. Il épousa, le 9 juin 1602, Marthe Lepesant, fille de François Lepesant[2]. Le 29 septembre 1602, un acte régulier de partage mit les jeunes époux en possession d’une maison située à Rouen, rue de la Pie, qui venait du père du marié, décédé en 1588, et dont la succession était demeurée depuis lors indivise.

Ce fut dans cette maison que naquit, le 6 juin 1606, l’enfant qui devait être le grand Corneille[3]. Trois jours plus tard, le 9, il était présenté au baptême dans la paroisse Saint-Sauveur par Pierre Lepesant, secrétaire du Roi, son oncle maternel, et Barbe Houel, son aïeule paternelle, et il recevait sur les fonts le prénom de Pierre, que portaient son père et son parrain[4]. Nous ne savons rien de particulier sur son enfance. M. Gosselin, dans un excellent travail, auquel nous avons emprunté la plupart des faits qui précèdent[5], a conjecturé, non sans vraisemblance, qu’elle s’écoula en partie dans une maison de campagne des plus riantes que Pierre Corneille, le père, acheta le 7 juin 1608 à Petit-Couronne, lorsque son enfant venait d’atteindre la fin de sa seconde année[6].

Corneille fit ses études avec succès au collège des Jésuites de Rouen. En 1620, il reçut en prix un exemplaire de l’ouvrage de Panciroli intitulé : Notifia utraque dignitatum, cum Orientis, tum Occidentis, ultra Arcadii Honoriique tempora (Lugduni, 1608) : c’est un volume in-folio, relié en veau brun, doré sur tranche, et portant sur les plats les armes d’Alphonse Ornano, alors lieutenant général au gouvernement de Normandie, et qui, en cette qualité, avait fait les frais des prix distribués au collège. Ce livre appartenait à la bibliothèque de M. Villenave[7], et M. Floquet, qui l’y a vu, fait remarquer que, suivant l’usage, « une notice détaillée et signée du principal indique dans quelle classe et à quel titre cette récompense avait été décernée au jeune Corneille[8]. » Par malheur nous ignorons ce qu’est devenu ce volume et nous n’avons pu voir nous-même ni reproduire le curieux renseignement qu’il renferme.

Suivant une tradition dont l’origine est demeurée inconnue, Corneille a remporté un prix de rhétorique pour une traduction en vers français d’un morceau de la Pharsale[9]. Mais nous ne croyons pas que ce prix soit le volume que nous venons de décrire : il est, non pas impossible, mais peu probable, que notre poète, né en 1606, ait fait sa rhétorique en 1620.

Le temps n’a pas fait disparaître entièrement les témoignages de la gratitude de Corneille envers ses maîtres. La bibliothèque de la Sorbonne possède un exemplaire de l’édition de 1664 de son Théâtre sur le titre duquel il a inscrit cet envoi :

Patribus Societatis Jesu
Colendissimis præceptoribus suis
Grati animil pignus
D. D. Petrus Corneille.

Dii, majorum umbris tenuem et sine pondere terram,
Qui prœceptorem sancti voluere parentis
Esse loco[10].

Un monument plus durable et plus touchant des sentiments de respect dont il demeura toujours animé à l’égard de ceux

qui avaient formé sa jeunesse, est la pièce de vers qu’il adressa, à l’âge de soixante-deux ans, au P. Delidel, et qu’il signa affectueusement : « Son très-obligé disciple[11]. »

Ce furent peut-être ces reconnaissants souvenirs qui déterminèrent Corneille à mettre en vers français certains poèmes latins du P. de la Rue. Du reste il fit le même honneur à Santeul. Cela irritait fort Huet, qui s’écrie avec humeur dans ses Mémoires : « Il avait acquis une réputation considérable et méritée, et il régnait au théâtre, lorsque, oublieux de sa dignité, il s’abaissa à de petites compositions fort peu dignes de l’excellence de son génie. S’il paraissait quelque poëme ayant du succès dans les écoles, il se faisait l’interprète de ceux qu’il eût à peine dû accepter pour interprètes de ses ouvrages[12]. »

Au sortir du collège, Corneille étudia le droit, et, le 18 juin 1624, il fut reçu avocat et prêta serment en cette qualité au parlement de Rouen[13]. « Mais, dit un de ses contemporains, comme il avoit trop d’élévation d’esprit pour ce métier-là, et un génie trop différent de celui des affaires, il n’eut pas plus tôt plaidé une fois, qu’il y renonça. Il ne laissa pas de prendre la charge d’avocat général à la table de marbre du Palais, qui ne l’engageoit qu’à fort peu de chose[14]. » M. Gosselin a pris soin de nous faire connaître cette juridiction et le lieu où elle s’exerçait : « La table de marbre du Palais, à Rouen, créée par Louis XII en 1508, connaissait des eaux et forêts en appel, mais jugeait en première instance tout ce qui concernait la navigation… Le lieu des séances n’était par lui-même guère capable d’imposer le moindre respect aux justiciables ; il était situé dans la grande salle des procureurs, au bout, vers la rue Saint-Lô, et le bureau de justice n’était autre qu’une grande table en marbre, derrière laquelle les juges étaient assis, ayant à leurs côtés et un peu au-dessus de leurs têtes, dans des niches existant encore aujourd’hui, au milieu la sainte Vierge, d’un côté Geffroy Hébert, évêque de Coutances, et de l’autre côté Antoine Boyer, abbé de Saint-Ouen[15]. » À sa charge d’avocat général à la table de marbre Corneille joignit, ainsi que son prédécesseur, celle d’avocat du Roi aux sièges généraux de l’Amirauté. M. Gosselin a prouvé récemment, dans une intéressante étude, que, malgré l’assertion, souvent reproduite, contenue dans l’article des Nouvelles de la république des lettres, ces charges n’étaient point, comme on l’a prétendu, de pures sinécures[16].

Pendant que Corneille étudiait au collège des Jésuites, il avait pris en amitié une petite fille, Marie Courant, dont il devint fort épris plus tard, et dont le bon goût, les sages conseils eurent, si nous en croyons notre poëte[17], une grande influence sur son talent. Si, ce que nous ignorons, il aspira à sa main, sa prétention fut vaine : Marie Courant fit un beau mariage ; au lieu de prendre le nom, bien modeste encore, de Corneille, elle épousa M. Thomas du Pont, correcteur en la chambre des comptes de Normandie[18].

C’est encore M. Gosselin qui nous a fait connaître le nom de famille de Mme du Pont[19]. Tant qu’on la ignoré, on était très-porté à la confondre avec Mlle Milet, dont Corneille fut amoureux plus tard, et en l’honneur de qui il composa un sonnet, dont il fut si content, qu’à en croire son frère, il fit sa comédie de Mélite (1629) tout exprès pour l’employer[20]. Je penchais fort, je l’avoue, vers cette opinion ; mais elle ne peut plus se soutenir aujourd’hui, et il faut admettre, ce qui du reste n’a rien d’invraisemblable, que l’ancienne passion, la sérieuse amitié de Corneille pour Marie Courant, a été traversée par une passagère amourette : tout se trouve ainsi concilié. M. Taschereau invoque, il est vrai, le propre témoignage de Corneille, qui dit dans l’excuse à Ariste[21] :

… Nul objet vainqueur
N’a possédé depuis ma veine ni mon cœur.

Mais si Corneille, qui écrivait ceci en 1637, se plaisait alors à oublier les galanteries et les caprices de sa vie de jeune homme, dans les Mélanges poétiques, publiés cinq ans auparavant, en 1632, il tenait un tout autre langage :

J’ai fait autrefois de la bête ;
J’avois des Philis à la tête[22] ;

et ailleurs :

Plus inconstant que la lune,
Je ne veux jamais d’arrêt[23].

Ce sont là, dira-t-on, des exagérations de poëte ; cela est possible ; mais il peut bien y avoir aussi dans l’Excuse à Ariste exagération de constance et de fidélité.

Quelle qu’ait été du reste l’occasion qui a donné naissance à Mélite, cette comédie eut un très-grand succès, malgré les critiques assez vives que lui attirèrent la simplicité du plan et le naturel du style. « Ceux du métier la blâmoient de peu d’effets[24], » ainsi que nous l’apprend l’auteur lui-même. Bientôt après, il composa dans un système très-différent, qui fut en ce temps un essai très-sérieux, la tragi-comédie de Clitandre (1632), qu’il aimait à présenter plus tard comme une espèce de bravade[25]. La preuve de l’importance qu’il y attacha est dans l’empressement qu’il mit à la publier avant Mélite. Clitandre est suivi de Mélanges poétiques, contenant des pièces galantes, des vers de ballet, et quelques traductions des épigrammes d’Owen[26]. Avant cette époque, Corneille n’avait encore eu d’imprimé qu’un quatrain en l’honneur de Scudéry[27], avec qui il s’était lié dès qu’il avait travaillé pour le théâtre, et dont, en retour, le nom figure le premier dans une série d’une vingtaine d’hommages poétiques placés en tête de la Veuve (1633), dus pour la plupart à des rimeurs aujourd’hui complétement inconnus, mais dont le patronage parut alors à Corneille utile et honorable.

La Veuve fut suivie de la Galerie du Palais (1633), de la Suivante (1634) et de la Place Royale (1634). Cette dernière comédie, que nous avons donnée comme ayant été jouée en 1635, suivant en cela l’opinion générale, est un peu plus ancienne, comme le prouve un opuscule de notre poëte, qui est d’une assez grande importance pour la chronologie de ses premières pièces.

Lorsque Louis XIII, la Reine et le Cardinal séjournèrent en 1633 aux eaux de Forges, les hauts dignitaires des environs s’empressèrent d’aller leur rendre hommage. Corneille fut invité par François de Harlay de Champvallon, archevêque de Rouen, à composer des vers en leur honneur. Il s’en excusa dans une pièce latine, où il se tire fort agréablement de ces éloges qu’il a l’air de n’oser aborder. Malgré sa feinte modestie, il n’hésite pas à énumérer en tête de son poëme ses succès de théâtre, et à déclarer que là il règne presque sans rival :

Me pauci hic fecere parem, nidlusque secundum[28].

Ces vers latins furent peut-être l’occasion qui le mit directement en rapport avec le Cardinal, auquel devaient du reste le recommander puissamment ses premiers essais dramatiques. Bientôt il fut placé par lui au nombre des poëtes chargés de composer des pièces de théâtre sous sa direction. Nous avons indiqué la part qu’il prit, comme un des « cinq auteurs, » à la Comédie des Tuileries (1635), et nous avons raconté comment le défaut d’esprit de suite, ou plutôt de docilité, dont l’accusait Richelieu, le porta à renoncer à cette tâche de collaborateur et à quitter Paris en prétextant quelques affaires de famille qui l’appelaient à Rouen.

Lorsqu’il se remit au travail pour son propre compte, il aborda sérieusement le genre tragique dans Médée (1635) ; mais quoique ce fût là à beaucoup d’égards une tentative heureuse, elle ne satisfit entièrement ni son auteur ni le public, et le génie inquiet et infatigable de Corneille se remit en quête de sa voie, certain déjà de la trouver. L’Espagne l’attira, soit qu’il eût de lui-même donné cette direction à ses études, soit, comme on l’a prétendu, qu’il eût suivi en cela les conseils de M. de Châlon, ancien secrétaire des commandements de la Reine mère, retiré à Rouen. Ce qu’on n’a pas assez remarqué, c’est qu’il préluda au Cid par l’Illusion comique (1636). Les exagérations du capitan ne manquent sous sa plume ni de noblesse ni de dignité : il le fait en plus d’une circonstance plus réellement majestueux qu’il n’aurait fallu. Sa grande âme tournait malgré lui au sublime ; elle y était entraînée invinciblement, et Matamore parle déjà parfois le langage de Rodrigue. Ce fut dans les derniers jours de 1636 que parut ce merveilleux Cid, sur lequel nous nous étendrons d’autant moins ici, que nous en avons plus longuement exposé l’histoire dans notre édition. Le savant M. Viguier, dont les amis des lettres déplorent la perte récente, en a indiqué, dans un mémoire spécial, les origines espagnoles[29]. Quant à nous, nous avons raconté, dans la longue notice consacrée à cet ouvrage[30], tout ce que nous avons pu recueillir de relatif à ses premières représentations, à l’affluence qui s’y porta, au jeu des comédiens qui remplirent les principaux rôles ; nous avons dit la colère des confrères de Corneille et en particulier de Scudéry, la complicité de Richelieu, dont cette pièce excitait la jalousie de poëte et les légitimes susceptibilités de ministre ; nous avons exposé, dans tous ses détails, le long procès porté à cette occasion devant la juridiction littéraire de l’Académie française ; nous avons reproduit les principales pièces de ce procès, et enfin le jugement lui-même. On peut parcourir successivement l’Excuse à Ariste et le Rondeau de Corneille[31], qui ont servi de point de départ et de prétexte à toute la querelle ; les vers placés dans la dédicace de la Suivante[32] et dont on n’avait pas bien apprécié la portée, faute de remarquer qu’ils n’avaient été publiés qu’après le Cid, les Observations de Scudéry[33], les titres et l’analyse des pamphlets publiés contre Corneille[34] ; le texte complet de tous ceux auxquels on a prétendu qu’il avait eu, au moins indirectement, quelque part[35] ; enfin les Sentiments de l’Académie[36].

Au mois de janvier 1637, Pierre Corneille père reçut des lettres de noblesse[37], qu’il avait méritées, mais que, sans l’éclat jeté sur son nom par son fils, il n’eût peut-être jamais obtenues, disions-nous dans notre notice sur le Cid[38]. Les découvertes intéressantes faites par M. Gosselin, depuis le moment où nous nous exprimions de la sorte, ont établi que nous avions raison plus encore que nous ne pouvions le supposer. Investi en 1599, comme nous l’avons dit, de sa charge de maître des eaux et forêts, Pierre Corneille père y avait trouvé maintes occasions de déployer sa fermeté et son courage. Plus d’une fois il avait eu à réprimer, les armes à la main, les vols de bois qui se commettaient dans les forêts, et les registres du Parlement attestent avec quels soins vigilants il s’appliquait à réprimer tout désordre et à maintenir ses agents dans le devoir. Par malheur, si Pierre Corneille, le père, était énergique et intègre, il avait un caractère âpre et absolu, qui lui attira beaucoup d’ennemis. Des difficultés qu’il eut avec Amfrye, son verdier[39], amenèrent, à l’occasion d’un mur indûment élevé sur la limite de la propriété de Petit-Couronne, un très-long procès, que Pierre Corneille perdit le 1er juin 1618. En 1620, sans attendre que son fils fût en âge de lui succéder, il donna sa démission. Il avait donc quitté ses fonctions depuis dix-sept ans, lorsque, au mois de janvier 1637, on lui accorda des lettres de noblesse pour le récompenser de la manière dont il s’en était acquitté. N’est-il pas évident par là que ses bons services étaient fort oubliés, et que les exploits de Rodrigue vinrent grandement en aide à la courageuse conduite du maître des eaux et forêts ? Le père de Corneille ne jouit pas longtemps de la distinction qu’il venait d’obtenir : il mourut le la février 1639, à l’âge de soixante-sept ans.

Les années qui suivirent le succès du Cid furent bien tristement remplies pour Corneille par les persécutions des jaloux et des envieux, les chagrins de famille, les règlements de successions[40], les tracas d’affaires. Un sieur François Hays avait obtenu des provisions de second avocat du Roi au siège général des eaux et forêts, à la table de marbre du Palais, à Rouen[41], qui venaient réduire de moitié les profits de la charge acquise par Corneille dix ans auparavant. Nous ignorons quelle fut l’issue de l’affaire ; mais elle demeura longtemps pendante et nécessita de nombreuses démarches. On voit que les motifs qui retardèrent jusqu’au commencement de l’année 1640 la représentation d’Horace furent de plus d’un genre et que le découragement de Corneille ne tenait pas à des causes purement littéraires. Fort maltraité par les poëtes et les critiques du temps, lors de la nouveauté du Cid, Corneille espéra se ménager la bienveillance de certains d’entre eux en leur lisant Horace avant la représentation. Ce fut chez Boisrobert que la lecture eut lieu, probablement afin de bien disposer le cardinal de Richelieu. Les assistants, dont on ne nous a nommé peut-être que les principaux, étaient Chapelain, Barreau, Charpi, Faret, l’Estoile et d’Aubignac[42]. Ce dernier fut d’avis de changer le dénoûment ; l’Estoile appuya d’Aubignac ; Chapelain proposa aussi un cinquième acte de sa façon. Mais si, en certaines circonstances, Corneille était un bourgeois assez humble, il garda toujours comme poëte une fière indépendance : il goûta peu toutes ces observations. Nous ne savons pas ce qu’il y répondit dans cette assemblée ; mais nous connaissons les sentiments dont il était animé, par le « mauvais compliment » qu’il fit plus tard à Chapelain, à qui il dit, d’un ton à ce qu’il paraît assez bourru, « qu’en matière d’avis il craignait toujours qu’on ne les lui donnât par envie et pour détruire ce qu’il avait bien fait. » La manière dont Corneille accueillit les critiques qu’on lui adressa détruisit tout le bon effet qu’il eût pu se promettre de la déférence témoignée aux hommes de lettres, plus ou moins en crédit, à qui il avait lu Horace, On comprend que toute la coterie hostile à l’auteur du Cid se soit émue et qu’il ait été un instant question d’observations et de jugement sur la nouvelle pièce[43]. Heureusement la position que Corneille avait déjà conquise et la fermeté de son attitude calmèrent cette effervescence : et, à partir de ce moment, il n’eut plus à redouter d’autre juge que le public.

À Horace succéda Cinna. Ce fut après ce nouveau triomphe qu’eut lieu le mariage de Corneille. À en croire son neveu Fontenelle, il ne fallut rien moins qu’une intervention toute puissante et fort inattendue pour que le poëte pût épouser Marie de Lamperière, fille de Mathieu de Lamperière, lieutenant général aux Andelys.

« M. Corneille, encore fort jeune, dit-il, se présenta un jour plus triste et plus rêveur qu’à l’ordinaire devant le cardinal de Richelieu, qui lui demanda s’il travailloit : il répondit qu’il étoit bien éloigné de la tranquillité nécessaire pour la composition, et qu’il avoit la tête renversée par l’amour. Il en fallut venir à un plus grand éclaircissement, et il dit au Cardinal qu’il aimoit passionnément une fille du lieutenant général d’Andely, en Normandie, et qu’il ne pouvoit l’obtenir de son père. Le Cardinal voulut que ce père si difficile vînt à Paris ; il y arriva tout tremblant d’un ordre si imprévu, et s’en retourna bien content d’en être quitte pour avoir donné sa fille à un homme qui avoit tant de crédit[44]. »

La première nuit de ses noces, Corneille fut tellement malade que le bruit courut à Paris qu’il était mort d’une pneumonie. Ménage fit, sans perdre de temps, une pièce de vers latins en l’honneur du prétendu défunt[45].

Ce morceau est important pour la biographie de Corneille ; car, à défaut d’acte authentique, il nous fait approximativement connaître l’époque à laquelle il prit femme. Dans ses vers, Ménage parle d’Horace, de Cinna, ce qui prouve que le nouveau marié n’était pas fort jeune, comme le dit Fontenelle, mais déjà d’un âge mûr. Cinna est de 1640, Corneille, né en 1606, se maria donc à trente-quatre ou trente-cinq ans, et ne tarda guère à devenir père ; car dans une lettre du 1er juillet 1641[46], il annonce à un ami la grossesse de sa femme ; et le 10 janvier 1642, elle accoucha d’une fille, qui fut appelée Marie.

C’est sans doute vers le temps de son mariage que Corneille entra en relation avec l’hôtel de Rambouillet. C’était là un puissant secours contre la jalousie de ses ennemis littéraires, mais non le moyen de nourrir et développer cette admirable simplicité qui, dans les moments de haute et grande inspiration, distinguait son génie[47]. Dans cette Guirlande poétique que Montausier offrit à Julie d’Angennes trois ou quatre ans avant de l’épouser, il y a trois fleurs au moins, six peut-être, à qui Corneille a dicté leurs hommages[48]. Ce fut dans la chambre bleue de l’hôtel qu’il lut Polyeucte à de belles dames, un peu offusquées de l’austérité de l’ouvrage, et à un évêque, fort blessé des excès de zèle de l’ardent néophyte[49]. Corneille, à qui l’habitude de communiquer ses pièces, avant la représentation, à un auditoire choisi ne profitait décidément pas, et qui cependant ne la perdit point, ne fut, dit-on, consolé de sa déconvenue que par les conseils d’un acteur fort médiocre, qui ranima son courage et le décida à laisser sa pièce aux comédiens. On a même prétendu[50] que ceux-ci ayant d’abord refusé de jouer cette tragédie, Corneille donna son manuscrit à l’un d’eux, qui le jeta sur un ciel de lit, où il demeura oublié plus de dix-huit mois ; mais M. Taschereau a fait justice de cette fable invraisemblable.

Il faut dire à la décharge des auditeurs de Corneille que son extérieur n’avait rien d’aimable, son débit rien de séduisant. Nous avons déjà fait remarquer ailleurs[51] que Boisrobert lui reprochait de barbouiller ses vers ; les divers portraits que ses contemporains ont faits de lui prouvent que ce reproche n’avait rien d’exagéré.

« … Simple, timide, d’une ennuyeuse conversation, dit la Bruyère[52] ; il prend un mot pour un autre, et il ne juge de la bonté de sa pièce que par l’argent qui lui en revient[53] ; il ne sait pas la réciter, ni lire son écriture. »

Vigneul Marville parle à peu près de même[54] : « À voir M. de Corneille, on ne l’auroit pas pris pour un homme qui faisoit si bien parler les Grecs et les Romains et qui donnoit un si grand relief aux sentiments et aux pensées des héros. La première fois que je le vis, je le pris pour un marchand de Rouen. Son extérieur n’avoit rien qui parlât pour son esprit ; et sa conversation étoit si pesante qu’elle devenoit à charge dès qu’elle duroit un peu. Une grande princesse, qui avoit désiré de le voir et de l’entretenir, disoit fort bien qu’il ne falloit point l’écouter ailleurs qu’à l’Hôtel de Bourgogne. Certainement M. de Corneille se négligeoit trop, ou pour mieux dire, la nature, qui lui avoit été si libérale en des choses extraordinaires, l’avoit comme oublié dans les plus communes. Quand ses familiers amis, qui auroient souhaité de le voir parfait en tout, lui faisoient remarquer ces légers défauts, il sourioit et disoit : « Je n’en suis pas moins pour cela Pierre de Corneille. » Il n’a jamais parlé bien correctement la langue françoise ; peut-être ne se mettoit-il pas en peine de cette exactitude, mais peut-être aussi n’avoit-il pas assez de force pour s’y soumettre. »

Fontenelle, à la fin du portrait, fort intéressant pour nous et fidèle sans aucun doute, qu’il nous a laissé de son oncle, ne rend pas un témoignage beaucoup plus favorable de son talent de lecteur : « M. Corneille, dit-il, étoit assez grand et assez plein, l’air fort simple et fort commun, toujours négligé, et peu curieux de son extérieur. Il avoit le visage assez agréable, un grand nez, la bouche belle, les yeux pleins de feu, la physionomie vive, des traits fort marqués et propres à être transmis à la postérité dans une médaille ou dans un buste. Sa prononciation n’étoit pas tout à fait nette ; il lisoit ses vers avec force, mais sans grâce[55]. »

Enfin Corneille, confirmant par avance ces divers témoignages, a dit de lui-même :

… L’on peut rarement m’écouter sans ennui,
Que quand je me produis par la bouche d’autrui[56].

Heureusement le jeu des acteurs mit en relief les beautés de l’admirable tragédie dont le débit de l’auteur et les préjugés de ses auditeurs avaient un instant compromis le succès, et Polyeucte parcourut une longue et fructueuse carrière[57]. Les contemporains de Corneille nous l’ont appris, sans nous fournir toutefois les éléments d’une relation quelque peu suivie de la première représentation de ce chef-d’œuvre, dont la date même est douteuse. On l’a généralement placée à l’année 1640, mais un passage de la lettre latine du 12 décembre 1642, dans laquelle Sarrau engage Corneille à écrire un éloge funèbre de Richelieu, semble devoir la reporter à l’année 1643[58]

Pompée et le Menteur, ces deux pièces si différentes, sont, comme nous l’apprend Corneille[59], « parties toutes deux de la même main, dans le même hiver. » Mais quel est cet hiver ? Celui de 1641-1642, dit-on généralement ; ce serait plutôt celui de 1643-1644, si la date que nous venons de proposer pour Polyeucte paraissait devoir être adoptée.

En 1643, Corneille sollicita vainement le droit de faire jouer par qui bon lui semblerait Cinna, Polyeucte et la mort de Pompée qu’il avait fait représenter d’abord par les comédiens du Marais, et que d’autres comédiens, le frustrant « de son labeur » (ce sont ses termes), avaient entrepris de représenter ; mais ce « privilége, » qui ne nous semble aujourd’hui que la simple garantie de la propriété de son travail, ne lui fut pas accordé[60].

La Suite du Menteur paraît devoir être placée à l’année 1644. C’est aussi en 1644 ou 1645 que vient la première représentation de Rodogune, qui obtint un éclatant succès, fort propre à dédommager le poëte des ennuis qu’avait dû lui causer le plagiat, d’ailleurs très-maladroit, de Gilbert, que nous avons raconté tout au long dans notre Notice sur Rodogune[61].

En 1644, Antoine Corneille, frère de Pierre, et religieux au Mont-aux-Malades, fut nommé curé de Fréville. À cette occasion, il reçut de sa mère, à titre de prêt, quelques objets mobiliers et la casaque de drap noir de son père, et donna du tout un reçu qui prouve quelle était encore la simplicité de vie de cette famille à l’époque même où l’illustre poète avait déjà écrit ses chefs-d’œuvre[62].

La chute de Théodore, qui suivit de fort près l’heureux succès de Rodogune, dut surprendre d’autant plus Corneille qu’il considérait les choses de trop haut pour être sensible à ce que le sujet de sa pièce présentait de choquant, et qu’il s’étonnait de la meilleure foi du monde de la prévention et de l’aveuglement du public.

Vers cette époque, Louis XIV enfant lui adressa une lettre officielle afin de le prier de composer des vers pour un grand ouvrage à figures que préparait Valdor, les Triomphes de Louis le Juste[63]. Cet honneur fut bientôt suivi d’un témoignage d’admiration et d’amitié venu de moins haut, mais qui probablement toucha encore plus Corneille : d’un éloge des plus enthousiastes parti de la plume de son cher Rotrou[64]. La manière inattendue dont ces louanges sont amenées, dans une tragédie romaine, au moyen d’un étrange anachronisme, montre combien ce sincère ami avait recherché l’occasion d’exprimer ses sentiments d’admiration. Dans le Véritable Saint-Genest (acte I, scène v), le principal personnage est, comme l’on sait, un comédien qui devient chrétien et martyr. L’empereur Dioclétien, après lui avoir prodigué des éloges mérités, l’interroge ainsi :

Mais passons aux auteurs, et dis-nous quel ouvrage
Aujourd’hui dans la scène a le plus haut suffrage,
Quelle plume est en règne, et quel fameux esprit
S’est acquis dans le cirque un plus juste crédit.

À quoi Saint-Genest finit par répondre en faisant allusion à Cinna et à Pompée :

Nos plus nouveaux sujets, les plus dignes de Rome,
Et les plus grands efforts des veilles d’un grand homme,
À qui les rares fruits que la muse produit
Ont acquis dans la scène un légitime bruit.
Et de qui certes l’art comme l’estime est juste.
Portent les noms fameux de Pompée et d’Auguste.
Ces poèmes sans prix où son illustre main
D’un pinceau sans pareil a peint l’esprit romain,
Rendront de leurs beautés votre oreille idolâtre,
Et sont aujourd’hui l’âme et l’amour du théâtre.

Nous mentionnerons ici à sa date une lettre du 18 mai 1646, où Corneille remercie Voyer d’Argenson d’un poëme sacré qu’il vient de recevoir de lui en présent, et nous fait connaître son opinion sur les écrits de ce genre. Je « m’étois persuadé, dit-il dans un passage fort altéré par les premiers éditeurs, que d’autant plus que les passions pour Dieu sont plus élevées et plus justes que celles qu’on prend pour les créatures, d’autant plus un esprit qui en seroit bien touché pourroit faire des poussées plus hardies et plus enflammées en ce genre d’écrire[65]. »

Voilà qui fait pressentir le futur traducteur de l’Imitation de Jésus-Christ. Jusqu’à ce moment toutefois Corneille était exclusivement occupé du théâtre, et vers la fin de cette année 1640, ou dès les premiers jours de la suivante[66], il fit représenter Héraclius, que Boileau appelait une espèce de logogriphe[67], mais dont, malgré la complication volontaire de l’intrigue, le succès ne fut pas un instant compromis.

C’est le 22 janvier 1647, plus de dix ans après le Cid, que Corneille fut élu membre de l’Académie française, qui avait si vivement critiqué son premier chef-d’œuvre. Il s’était vu préférer successivement M. de Salomon, M. du Ryer, et il aurait peut-être encore échoué devant M. Ballesdens si celui-ci n’avait eu le bon goût de se retirer devant lui, et si d’autre part, pour lever un dernier obstacle, l’illustre candidat n’avait pris soin de faire dire à la Compagnie : « qu’il avoit disposé ses affaires de telle sorte qu’il pourroit passer une partie de l’année à Paris[68]. »

Charles le Brun reproduisit les traits du nouvel académicien dans une excellente peinture, qui est devenue le portrait communément adopté où tous le reconnaissent[69]. Ce fut, suivant toute apparence, pour l’en remercier que Corneille écrivit, au sujet de la fondation de l’Académie de peinture, la pièce de vers intitulée : la Poésie à la Peinture, en faveur de l’Académie des peintres illustres[70]. Il y célèbre le retour de « cette belle inconnue, la Libéralité, » qui, vainement appelée par les poëtes, semble consentir à reparaître aux yeux des peintres.

Nous arrivons au temps de la Fronde, si désastreux pour l’État, si funeste pour les arts et les lettres, particulièrement pour les auteurs dramatiques et les comédiens, et durant lequel, suivant l’expression de Corneille, les désordres de la France ont resserré dans son cabinet ce qu’il se préparait à lui donner[71]. Ces troubles n’empêchèrent point toutefois la publication du magnifique ouvrage de Valdor, auquel avait travaillé notre poëte : les Triomphes de Louis le Juste. Il parut le 22 mai 1649. On devait tenir naturellement, dans des circonstances si graves, à ne rien négliger de ce qui pouvait rendre à la royauté un peu de prestige et d’éclat.

Il est assez difficile de suivre pendant cette époque le détail de la vie de Corneille. Il faut se contenter d’indiquer quelques faits, qui ont pour nous leur intérêt, mais qu’aucun lien commun ne rattache les uns aux autres. Le Sonnet au R. P. dom Gabriel à l’occasion de sa traduction des Épîtres de saint Bernard[72] nous montre une fois de plus que notre poëte avait dès lors avec divers religieux d’excellentes relations, qui durent contribuer pour une certaine part au changement de direction que subit par la suite son talent.

Un billet du 25 août 1649[73] nous apprend, par le lieu d’où il est daté, que Corneille avait alors momentanément quitté Rouen, et qu’il était à Nemours, très-probablement chez le médecin Dubé, son parent et allié, comme il l’appelle, dont il adresse à un de ses amis un ouvrage tout récemment publié.

Vers les derniers jours de 1649, les troubles politiques, un instant apaisés, laissèrent quelque place aux questions littéraires. Une discussion des plus frivoles, mais qui néanmoins conservait, ainsi que l’a remarqué notre poëte, quelque chose de l’ardeur des passions du moment, occupa vivement les esprits. Il s’agissait de se déterminer entre le sonnet d’Uranie, par Voiture, et celui de Job, par Benserade. Corneille, prié de se prononcer à ce sujet, écrivit tour à tour trois petites pièces, bien marquées au coin de cette réserve propre, dit-on, aux caractères normands et dans lesquelles il est impossible de deviner auquel des deux poètes il donne vraiment la préférence[74]. Peut-être, au fond du cœur, avait-il pour ces deux productions, alors si goûtées, une indifférence égale, que nous serions, pour notre compte, très-disposé à lui pardonner.

Enfin le calme devint assez grand pour permettre de représenter Andromède et Don Sanche, qui se suivirent de fort près dans un ordre assez difficile à déterminer[75].

Au moment où Corneille venait de faire représenter Andromède, il se trouva investi pour un temps de fonctions publiques, qu’il ne regretta pas plus, sans doute, lorsqu’il les quitta, qu’il ne les avait souhaitées quand on l’en revêtit. Le 1er février 1650, le Roi et la Reine mère quittèrent Paris pour Rouen, où Mazarin vint les rejoindre le 3 du même mois[76]. Plusieurs des créatures du duc de Longueville, gouverneur de Normandie, alors prisonnier à Vincennes, furent destituées pendant ce voyage royal, et la Gazette et divers actes découverts par M. Floquet au greffe de Rouen, et qu’on trouvera à la suite de cette notice[77], établissent que le 15 février le sieur Bauldry, procureur des états de Normandie, fut remplacé dans ses fonctions par Pierre Corneille, ce qui lui valut, dans l’Apologie particulière pour M. le duc de Longueville, une attaque d’ailleurs fort adoucie par l’estime dont jouissait le poëte. Après un éloge très-complaisamment développé du sieur Bauldry, l’auteur anonyme parle en ces termes de celui par qui on l’a remplacé : « On lui a donné un successeur qui sait fort bien faire des vers pour le théâtre, mais qu’on dit être assez mal habile pour manier de grandes affaires. Bref, il faut qu’il soit ennemi du peuple, puisqu’il est pensionnaire de M. de Mazarin. » Du reste, on ne sait rien de la façon dont Corneille remplit cette charge, qui, l’année suivante, le 15 mars, fut rendue à Bauldry, lorsque le duc de Longueville eut fait sa paix avec la cour. Le 18 mars 1650, Corneille avait vendu et résigné, moyennant six mille livres tournois, ses offices de conseiller et avocat du Roi à la table de marbre[78] ; il se trouva donc, à partir de ce moment, dépourvu de toutes fonctions officielles.

Nicomède fut représenté au commencement de 1651. Le ton de ce drame, élégant mélange de tragique et de familier, procède directement, ce semble, de l’époque de la Fronde, où, dans les affaires publiques, la tragédie tournait à l’ironie, et où les plus tristes désastres, les plus affreuses misères engendrées par les luttes des grands étaient masqués à leurs yeux par des mots spirituels et d’agréables reparties.

Après cette pièce, Corneille aborde un genre d’écrits tout différents. Longtemps, malgré ses sentiments chrétiens, son talent avait eu, dans la plupart de ses œuvres, un caractère tout profane. Dans Polyeucte il avait réussi à réunir les plus intéressantes conceptions dramatiques à l’expression la plus élevée de la foi et de la ferveur. Dans Théodore il avait espéré de remporter de nouveau un triomphe si difficile ; mais la nature du sujet avait été un obstacle insurmontable, même pour un poëte de génie. Il ne voulait cependant pas renoncer à revêtir des ornements de la poésie les pensées religieuses qui se présentaient souvent à son esprit et dans lesquelles ses anciens et vénérés maîtres ne cessaient de l’entretenir. Ce fut sans grand’peine assurément qu’il se laissa persuader par des Pères jésuites de ses amis d’entreprendre la traduction en vers de l’Imitation de Jésus-Christ ; et le 15 novembre 1651 il en faisait paraître les vingt premiers chapitres. Pendant qu’ils étaient accueillis avec faveur et même avec enthousiasme par tous ceux qui se réjouissaient de cet éclatant témoignage de la profonde piété du grand poëte, on fit à Pertharite (1652) la plus « mauvaise réception[79]. » Les circonstances politiques et la misère générale n’étaient alors guère favorables au théâtre, et Scarron ne faisait que se rendre l’écho de l’opinion publique en disant dans son Épître chagrine :

Rien n’est plus pauvre que la scène
Qu’on vit opulente autrefois,
Quoique le plaisir de nos rois.
Il n’est saltimbanque en la place
Qui mieux ses affaires ne fasse
Que le meilleur comédien,
Soit françois, soit italien.
De Corneille les comédies,
Si magnifiques, si hardies,
De jour en jour baissent de prix.
(Les Œuvres de M. Scarron, 1668, tome I, p. 16.)

Corneille lui-même s’exprime ainsi dans l’avis Au lecteur de Pertharite[80] : « Il est temps… que des préceptes de mon Horace je ne songe plus à pratiquer que celui-ci :

Solve senescentem mature sanus equum, ne
Peccet ad extremum ridendus et illa ducat[81]. »

Bien des années plus tard, lorsqu’après un long éloignement Corneille était revenu au théâtre, un écrivain sans mérite, qui a été du moins pour lui un sincère ami, et à qui cette amitié a fait écrire par hasard quelques pages naturelles et convaincues, l’abbé de Pure, faisait ainsi l’éloge de cette résolution :

« Puisque le plaisir est l’objet naturel et primitif des spectacles, sitôt qu’on s’aperçoit que l’on ne plaît plus, il faut que le poëte fasse judicieusement sa retraite, qu’il se résolve de bonne foi à quitter une place qu’il ne peut tenir, et qu’à l’exemple d’un ancien, il cesse par raison, sans attendre de s’y voir forcé par sa foiblesse. Nous avons vu de nos jours une pareille résolution qui a passé pour exemplaire, et dont le souvenir a plu même après la dédite et la contrevention ; mais c’est toujours beaucoup d’avoir pu la former, et la vanité qui ne nous quitte point ne nous laisse pas souvent cette liberté de reconnoître et encore moins d’avouer nos défauts[82]. »

Il n’est pas étonnant qu’après le succès si divers de ses deux derniers ouvrages, Pertharite et le commencement de l’Imitation, Corneille ait longtemps cessé de travailler pour le théâtre, et se soit attaché avec ardeur à continuer sa pieuse traduction, dont il avait publié les premiers chapitres sans trop savoir s’il poursuivrait sa tache, et seulement, nous dit-il, « pour coup d’essai, et pour arrhes du reste[83]. »

Les recherches dont la vie et les œuvres de Corneille ont été l’objet dans ces derniers temps ont en partie comblé le vide que ses biographes du dix-huitième siècle avaient laissé dans l’histoire des années où il demeura éloigné du théâtre. En 1840, M. Deville a communiqué à l’Académie de Rouen la description d’un registre de la paroisse Saint-Sauveur de Rouen, qui contient les comptes dressés par Pierre Corneille en sa qualité de marguillier et de trésorier en charge de ladite paroisse, pour l’année écoulée de Pâques 1651 à Pâques 1652[84]. M. Célestin Port publia en 1852 quatre lettres inédites, adressées par Pierre Corneille au R. P. Boulard, abbé coadjuteur de Sainte-Geneviève, au sujet de la traduction de l’Imitation. La première est de la veille de Pâques 1652, et il y est question de ces comptes de la paroisse Saint-Sauveur dont nous venons de parler ; la dernière est du 10 juin 1656[85]. Enfin, en 1867, une intéressante communication de M. Gosselin à M. Taschereau nous montre Corneille faisant en 1652 quelques acquisitions dans une vente de livres à Rouen[86].

Si l’on joint aux lettres publiées par M. Port l’ensemble des préfaces des diverses éditions de l’Imitation, que nous avons pour la première fois rassemblées d’une manière complète, si l’on prend la peine de lire en note au commencement de chacun des chapitres la description des divers sujets des gravures que le traducteur y avait jointes dans plusieurs éditions, et si l’on considère le soin qu’il avait pris de les accompagner de devises choisies avec une ingénieuse recherche, soit par lui soit par ses amis, on n’aura pas de peine à croire que Corneille, qui avait toujours été (Polyeucte ne permet guère d’en douter) un chrétien sincère, ait, en s’éloignant du théâtre, embrassé avec ferveur les pratiques de la dévotion.

Les documents que nous venons de mentionner ne devaient pas être ignorés au moment de la mort de Corneille. Si l’on ne s’occupa pas alors de les réunir, c’est qu’à cette époque on ne s’intéressait qu’aux œuvres d’un poëte, non à sa personne, et encore, parmi ses œuvres, aux plus brillantes et aux plus célèbres. Quant aux commentateurs et aux biographes du dix-huitième siècle, Voltaire et Fontenelle, ils n’auraient eu garde d’insister sur ces détails, même s’ils les eussent connus. Ces vérités auraient été de celles que ce dernier eût gardées dans sa main, car d’ordinaire les critiques de ce temps ne poussaient pas la sincérité jusqu’à rapporter, en historiens fidèles, même les faits contraires à leurs convictions.

Pendant cette période de la vie de Corneille, éclairée dans ces dernières années, comme nous venons de le voir, d’un jour nouveau, on fit courir encore le bruit de sa mort, qui fut démenti en ces termes par Loret, dans la Muse historique du 2 janvier 1655 :

Par je ne sais quels colporteurs
Un de nos plus fameux auteurs
Fut occis dès l’autre semaine,
C’est-à-dire, ils prirent la peine
De crier partout son trépas,
Quoique défunt il ne fût pas.
Cet auteur est Monsieur Corneille,
Qui du Parnasse est la merveille,
Dans la France fort estimé,
Et surtout beaucoup renommé
Pour ses beaux poëmes comiques,
Mais encor plus pour les tragiques,
Par lesquels il a mérité
D’ennoblir sa postérité,
Dès le temps de ce prince auguste
Que l’on nommoit Louis le Juste.
Divin génie ! esprit charmant !
Rare honneur du pays normand !

Mon illustre compatriote,
Dont l’âme est à présent dévote,
Détruisant cette folle erreur,
Qui me mettoit presque en fureur,
Mon âme est aujourd’hui ravie
De te restituer la vie.

Les rares petites pièces de vers échappées à Corneille vers ce temps-là se distinguent presque toutes par leur caractère sérieux. Nous citerons l’épitaphe d’Elisabeth Ranquet, morte au mois d’avril 1654, à Briquebec, en odeur de sainteté[87] ; un sonnet d’un tour très-ferme, pour obtenir la confirmation des lettres de noblesse de 1637, mises en question par la déclaration du 30 décembre 1656[88] ; un autre, plein de fierté, placé en 1657 par Campion en tête de ses Hommes illustres[89]. Ce n’était plus d’ailleurs qu’avec peine que Corneille se décidait à écrire de ces petites poésies. Gilles Boileau, qui lui avait demandé des vers sur la mort du président Pomponne de Bellièvre, et auquel il répondit, à ce qu’il paraît, qu’il n’avait ni le talent de louer, ni celui de blâmer, fait vivement ressortir le contraste que forme un refus ainsi motivé avec la conduite qu’il avait tenue précédemment. En exhalant sa mauvaise humeur à cette occasion, il énumère une série d’opuscules, dont quelques-uns n’ont pas encore été retrouvés[90].

Corneille étant parvenu à la cinquantaine tout occupé de graves pensées, de pieuses résolutions, semblait s’être pour jamais éloigné du théâtre, lorsqu’un incident assez simple vint changer ses nouvelles habitudes, modifia ses dispositions, et lui fit reprendre ses anciens travaux. En 1658, la troupe de Molière s’établit à Rouen vers Pâques, et y resta jusqu’au mois d’octobre. Un auteur dramatique, même devenu marguillier, a bien du mal à ne point fréquenter le théâtre, surtout lorsqu’on y joue ses pièces, et il lui est difficile de rester indifférent à la vue des belles et aimables personnes qui y remplissent avec éclat les principaux rôles. On remarquait principalement dans cette troupe la du Parc, assez habituellement appelée « la Marquise. » Corneille, charmé, se mit bientôt à la célébrer, tant sous cette dénomination que sous celle d’Iris, Comment ce chrétien austère, déjà sur le penchant de l’âge, parvient-il à parler de sa passion poétique à la jeune et jolie comédienne, sans scandaliser et sans faire sourire ? comment sait-il prendre un ton presque badin, sans rien perdre de sa dignité ? c’est ce qu’il est plus facile de sentir que d’expliquer, et nous ne saurions mieux faire que de renvoyer le lecteur aux poésies mêmes : « Iris, dit le poëte,

Iris, que pourriez-vous faire
D’un galant de cinquante ans[91] ? »

Cependant, si déraisonnable que lui paraisse cet amour, il s’y laisse entraîner, et l’on sent que sous la frivolité apparente du langage se cache un sentiment profond, qui nous paraît s’être prolongé plus encore qu’on ne l’a cru. Est-il bien hardi de supposer que c’est ce sentiment qui a inspiré à Corneille, dans les pièces postérieures à ce temps, ses types de vieillards amoureux, très-neufs dans la tragédie, et d’une vérité fort originale[92] ? L’élégie Sur le départ d’Iris se termine de façon à faire croire que cet hommage fut le terme de ce commerce de galanterie[93] ; mais les vers amoureux continuèrent : il suffit pour le voir de feuilleter les œuvres de Corneille. Cette disposition d’esprit aidant, il fit bon accueil aux présents et aux propositions encourageantes de Foucquet, qui l’engageait à travailler de nouveau pour le théâtre. Voici en quels termes il lui répond :

Je sens le même feu, je sens la même audace
Qui fit plaindre le Cid, qui fit combattre Horace ;
Et je me trouve encor la main qui crayonna
L’âme du grand Pompée et l’esprit de Cinna.
Choisis-moi seulement quelque nom dans l’histoire
Pour qui tu veuilles place au temple de la Gloire[94].

Entre plusieurs sujets que le Surintendant lui proposa, Corneille s’arrêta à celui d’Œdipe[95]. La pièce réussit parfaitement, et valut au poète, de la part du Roi, des libéralités, qu’il considéra comme « des ordres tacites, mais pressants, de consacrer aux divertissements de Sa Majesté ce que l’âge et les vieux travaux » lui avaient laissé d’esprit et de vigueur[96] Il agit en conséquence. Après avoir écrit pour Marie-Thérèse d’Autriche un sixain destiné à être mis en musique par Lambert[97], il célébra le mariage de cette princesse avec le roi de France dans le Prologue de la Toison d’or, pièce représentée avec grande pompe à Neubourg, aux frais de M. de Sourdeac, et plus tard à Paris, avec un succès et un éclat dont nous avons rapporté tout au long les abondants témoignages[98].

Le 31 octobre 1660 est la date de l’Achevé d’imprimer d’une édition importante des œuvres de Corneille, revue par lui avec le soin le plus consciencieux. Une de ses lettres nous le montre occupé de cette révision. Dès le 9 juillet 1658, il écrit à l’abbé de Pure qu’il compte avoir terminé dans deux mois la correction de ses ouvrages, si quelque nouveau dessein ne vient l’interrompre[99]. Depuis plusieurs années Corneille s’apercevait avec douleur que les immenses progrès qu’il avait plus que personne introduits dans la langue et dans l’art dramatique faisaient plus vivement ressortir la faiblesse relative de ses premiers ouvrages[100]. Comme il arrive toujours à la suite d’un grand mouvement littéraire, les grammairiens et les critiques étaient venus en foule. En 1647, Vaugelas avait écrit ses judicieuses Remarques, et Corneille en tint compte, dans sa révision, avec une déférence dont on n’avait pas été suffisamment frappé, mais que nous avons signalée à l’attention du lecteur dans la préface de notre Lexique, et dont l’examen des variantes fournira des preuves nombreuses. Il était loin, on le conçoit, d’accepter aussi volontiers les décisions de l’abbé d’Aubignac, qui, dix ans après Vaugelas, en 1657, avait écrit sur la Pratique du théâtre un livre où, se proclamant de sa propre autorité le législateur de la scène, il exagérait fort les rigueurs d’Aristote et d’Horace, abusait étrangement des aveux pleins de noblesse et de sincérité que notre poëte avait eu l’imprudence de faire devant lui, et s’attribuait le mérite des progrès accomplis de son temps.

« M’étant avancé, dit-il, dans la connoissance des savants de notre siècle, j’en rencontrai quelques-uns assez intelligents au théâtre, principalement dans la théorie et dans les maximes d’Aristote, et d’autres qui s’appliquoient même à la considération de la pratique, et tous ensemble approuvèrent les sentiments que j’avois de l’aveuglement volontaire de notre siècle, et m’aidèrent beaucoup à confondre l’opiniâtreté de ceux qui refusoient de céder à la raison : si bien que peu à peu le théâtre a changé de face, et s’est perfectionné jusqu’à ce point que l’un de nos auteurs les plus célèbres (en marge : Monsieur de Corneille) a confesse plusieurs fois, et tout haut, qu’en repassant sur des poëmes qu’il avoit donnés au public avec grande approbation, il y a dix ou douze ans, il avoit honte de lui-même, et pitié de ses approbateurs[101]. »

Parfois d’Aubignac donne à Corneille de grands éloges, mais presque toujours avec l’intention bien marquée de limiter son génie et de restreindre l’admiration qu’il excite. Ainsi, défendant les longues délibérations qui se trouvent dans certaines tragédies : « J’exhorte, dit-il, autant que je le puis, tous les poëtes d’en introduire sur leur théâtre tant que le sujet en pourra fournir, et d’examiner soigneusement avec combien d’adresse et de variété elles se trouvent ornées chez les anciens, et, j’ajoute, dans les œuvres de M. Corneille ; car si on y prend bien garde, on trouvera que c’est en cela principalement que consiste ce qu’on appelle en lui des merveilles, et ce qui l’a rendu si célèbre[102]. »

Après avoir lu le passage qui précède, on comprend que notre poète écrive à l’abbé de Pure avec sa fierté naïve : « Je ne suis pas d’accord avec M. d’Aubignac de tout le bien même qu’il a dit de moi[103]. »

Il eut l’ambition fort légitime de prendre à son tour la parole sur des questions qu’il avait si bien étudiées et qui lui importaient si fort, et joignit à son édition de 1660 trois Discours sur le théâtre, et des Examens de chacune de ses pièces représentées jusqu’à cette époque.

Corneille prend au début de ce travail un ton modéré et modeste, qu’on peut regarder comme une adroite critique de celui de d’Aubignac : « Je hasarderai quelque chose, dit-il, sur cinquante ans de travail pour la scène, et en dirai mes pensées tout simplement, sans esprit de contestation qui m’engage à les soutenir, et sans prétendre que personne renonce en ma faveur à celles qu’il en aura conçues[104]. » Ces paroles adressées au public se trouvent commentées par les explications que Corneille donne à l’abbé de Pure, dans la lettre que nous avons déjà citée[105] : « Bien que je contredise quelquefois M. d’Aubignac et Messieurs de l’Académie, je ne les nomme jamais, et je ne parle non plus d’eux que s’ils n’avoient point parlé de moi. »

On ne saurait trop apprécier chez l’impétueux auteur de l’Excuse à Ariste et de la Lettre apologétique les modifications que l’âge et l’expérience avaient apportées à son tempérament littéraire. Il a su si heureusement, et avec une si habile modération, faire dominer dans son nouveau travail la forme du précepte et de la fine observation, que les lecteurs qui négligent de lire la lettre à l’abbé de Pure avant d’aborder les Discours sur le théâtre et les Examens, peuvent prendre cette défense, adroite et souvent solide, pour un simple traité théorique.

Au commencement de l’année 1661, nous trouvons Corneille fort occupée des démarches à faire pour placer son second fils comme page chez la duchesse de Nemours[106], démarches couronnées, du reste, d’un prompt succès. Vers la fin de la même année, une curieuse lettre à l’abbé de Pure[107], jusqu’ici fort mal publiée[108], nous apprend qu’il a déjà presque achevé les trois premiers actes de Sertorius ; nous le voyons persuadé qu’il n’a « rien écrit de mieux, » et le public contemporain semble avoir partagé cette opinion[109].

Au mois d’avril 1662, il écrit au même abbé de Pure : « Le déménagement que je prépare pour me transporter à Paris me donne tant d’affaires que je ne sais si j’aurai assez de liberté d’esprit pour mettre quelque chose cette année sur le théâtre[110]. » Il ne fit, en effet, rien représenter en 1662 ; et au commencement d’octobre il n’avait pas encore quitté Rouen[111]. Non-seulement aucun ouvrage dramatique, mais nulle pièce de vers ne vient se placer dans cette année, qu’un déménagement de poëte semble, on a peine à le croire, avoir occupée ou du moins troublée tout entière. C’est, il est vrai, à cette époque que se rattache la Plainte de la France à Rome, écrite à l’occasion de l’insulte faite au duc de Créquy, ambassadeur de France, par les Corses de la garde du Pape ; mais nous avons prouvé que cette pièce de vers, attribuée sans hésitation à Corneille par la plupart de ses éditeurs et de ses biographes, n’est point de lui, mais de Fléchier[112].

Où Corneille vint-il habiter à Paris en quittant Rouen ? Ce fut, selon M. Édouard Fournier, à l’hôtel de Guise, rue du Chaume, où est aujourd’hui le palais des Archives. Il est vrai qu’en 1663 d’Aubignac nous apprend que notre auteur y avait « le couvert et la table, » et Tallemant des Réaux raconte qu’il avait « trouvé moyen » d’y « avoir une chambre[113] ; » mais cela ne s’applique-t-il pas aux séjours passagers que le poëte venait faire seul à Paris, dans le temps où il habitait encore Rouen, plutôt qu’à une installation permanente et complète avec femme et enfants ?

On peut être encore plus tenté de le croire si l’on remarque que le 7 septembre 1655, Tristan l’Hermite mourut à l’hôtel de Guise, comme nous l’apprend Loret par les vers suivants de sa Muse historique :

Mardi, cet auteur de mérite,
Que l’on nommoit Tristan l’Hermite,
. . . . . . . . . . .
Décéda d’un mal de poulmon
Dans le très-noble hôtel de Guise,
Où ce prince, qu’un chacun prise,
Par ses admirables bontés,
Ses soins et générosités,
Dès longtemps s’étoit fait paraître
Son bienfaiteur, Mécène, et maître.

N’est-il pas probable que Corneille eut dès 1655 la survivance de ce logis, dès longtemps consacré à un poëte dramatique, et auquel sa supériorité sur tous ses rivaux lui donnait une sorte de droit ?

En tout cas, il est certain qu’il n’alla pas s’établir en 1662 rue d’Argenteuil, et qu’il y vint beaucoup plus tard qu’on ne l’a cru ; il n’y était pas encore fixé en 1676, car, ainsi que l’a remarqué M. Taschereau[114], une procuration du 23 août 1675, relative à la tutelle des enfants d’un cousin de Corneille, avec qui il paraissait fort lié, et qu’il avait chargé depuis son départ de Rouen d’y surveiller ses intérêts[115], prouve qu’à cette époque Pierre Corneille demeurait rue de Cléry, paroisse Saint-Eustache[116]. Il y habitait encore au commencement de l’année suivante, comme le montre une Liste (avec les adresses) de Messieurs de l’Académie françoise en Ianuier 1676, la seule de ce genre que nous connaissions pour tout le dix-septième siècle[117]. En 1662, Colbert fit dresser par Costar et Chapelain une double liste des savants et des écrivains qui paraissaient mériter des pensions du Roi. Corneille est naturellement sur l’une et sur l’autre. Les jugements qui se rapportent à lui et que nous reproduisons ailleurs[118] lui sont très-favorables. Par malheur, on se montra beaucoup moins prodigue envers lui d’argent que d’éloges ; et tandis que le 1er janvier 1663 la pension de Mézerai était fixée à quatre mille livres et celle de Chapelain et de plusieurs autres à trois, notre poète n’en obtint que deux mille, dont il parut, du reste, fort satisfait, car il exprima son contentement avec beaucoup d’effusion dans un Remercîment en vers, où il rappelle les louanges qu’il a adressées au Roi dans ses ouvrages. Moins empressé, il est vrai, à l’égard de Colbert, il laissa passer plus d’un an avant de lui témoigner sa reconnaissance[119].

À la fin de janvier 1663, peu de temps après avoir reçu sa pension, Corneille fit représenter Sophonisbe, qui eut une vogue assez grande, mais de peu de durée, et qui donna lieu à divers écrits de Donneau de Visé et de d’Aubignac, dont on trouvera l’analyse dans la Notice consacrée à cet ouvrage [120]. Nous y avons réuni plusieurs témoignages qui semblent établir d’une manière certaine que cette pièce a été, ainsi que beaucoup d’autres tragédies de Corneille, retouchée avant l’impression. Un passage de d’Aubignac, qui nous avait échappé, semble encore confirmer ce fait : « Toutes les choses qu’il a pu réformer dans sa Sophonishe ont été rajustées, mais assez mal, comme on l’a remarqué à la nouvelle couleur qu’il a depuis peu donnée au mauvais mariage de cette reine, fait un peu trop à la hâte, l’ayant prétexté de quelques vieilles lois des Africains ; et maintenant il dit que je me suis trompé dans mes observations. Cela vraiment est bien fin, de corriger ses fautes et soutenir hardiment que l’on n’en a point fait, et d’avancer que je dormois ou que je rêvois ailleurs durant la représentation ; ses amis, qui lors étoient auprès de moi, savent bien que j’étois assez attentif, et que je me plaignois souvent de leur interruption, quand ils exigeoient de moi des louanges que ma conscience ne pouvoit donner[121]. »

Au mois d’août 1664, Othon eut à son tour un remarquable succès. Puis un an se passe sans que Corneille fasse rien paraître de nouveau. Le 19 juillet 1665, il obtient un privilège pour une traduction des Louanges de la sainte Vierge attribuées à saint Bonaventure, et la publie à ses frais le 11 août, chez Gabriel Quinet. « Si ce coup d’essai ne déplaît pas, dit le poète dans l’avis Au lecteur, il m’enhardira à donner de temps en temps au public des ouvrages de cette nature ; » et il ajoute, avec un regret sincère, il faut le croire, mais que peut-être on aura quelque peine à regarder comme très-profond : « Ce n’est pas sans beaucoup de confusion que je me sens un esprit si fécond pour les choses du monde, et si stérile pour celles de Dieu[122]. »

Jusqu’alors Corneille, quoique sans cesse exposé aux traits de l’envie et engagé parfois dans les luttes littéraires les plus animées, avait été un poète heureux : de prompts succès avaient balancé ses chutes, et il avait été l’objet des hommages les plus flatteurs. « Tout Paris, dit Perrault dans ses Hommes illustres, a vu un cabinet de pierres de rapport fait à Florence, et dont on avoit fait présent au cardinal Mazarin, où entre les divers ornements dont il est enrichi, on avoit mis aux quatre coins les médailles ou portraits des quatre plus grands poëtes qui aient jamais paru dans le monde : savoir Homère, Virgile, le Tasse et Corneille. On ne peut pas croire qu’il entrât de la flatterie dans ce choix, et qu’il n’ait été fait par la voix publique, non-seulement de la France, mais de l’Italie même, assez avare de pareils éloges. Cette espèce d’honneur n’est pas ordinaire, et peu de gens en ont joui, comme M. Corneille, pendant leur vie… Il seroit malaisé d’exprimer les applaudissements que ses ouvrages reçurent. La moitié du temps qu’on donnoit aux spectacles s’employoit en des exclamations qui se faisoient de temps en temps aux plus beaux endroits, et lorsque par hasard il paroissoit lui-même sur le théâtre, la pièce étant finie, les exclamations redoubloient et ne finissoient point qu’il ne se fût retiré, ne pouvant plus soutenir le poids de tant de gloire[123]. »

Nous arrivons maintenant à l’époque douloureuse de la vie de Corneille. À la fin de 1665, nous le voyons signalant dans un sixain spirituel et mordant les retards apportés au payement de sa pension[124]. Un peu plus tard, il laisse paraître dans un remercîment adressé à Saint-Évremont, qui avait défendu sa Sophonisbe, les appréhensions que lui avait causées le succès de l’Alexandre de Racine[125], appréhensions que l’accueil fait cinq mois après à l’Algésilas ne fut point de nature à calmer. Attila, un peu plus heureux devant le public, eut toutefois encore à essuyer de mordantes critiques. Mais les difficultés de la vie, les contrariétés d’amour-propre ne sont rien auprès des chagrins dont Corneille se vit frappé. Il avait quatre fils : deux au service, où ils faisaient vaillamment leur devoir, et deux autres, beaucoup plus jeunes, qui étaient confiés (cela est certain pour l’un et probable pour l’autre) aux soins des Pères jésuites, comme Corneille l’avait été lui-même.

Le 6 juillet 1667, le second, que nous avons vu page de la duchesse de Nemours, blessé au pied au siège de Douai, est ramené à Paris, et on le rapporte sur un brancard dans la maison de son père[126]. Peu de temps après, dans la même année, le troisième fils du poëte, Charles Corneille, filleul du P. de la Rue, qui a déploré son trépas dans une touchante élégie latine[127], mourait à quatorze ans, au moment où sa précoce intelligence faisait concevoir à son père les plus légitimes espérances.

Sept ans plus tard, en 1672, nous trouvons un témoignage de l’amitié de Corneille pour le P. de la Rue, dans le soin qu’il prit de traduire son poëme latin Sur les Victoires du Roi, et surtout de dire à Louis XIV, en lui présentant sa traduction, « qu’elle n’égaloit point l’original du jeune jésuite, qu’il lui nomma[128]. » Avant et après cette traduction, Corneille composa encore d’autres vers sur les campagnes du Roi et des imitations de pièces latines de Santeul. En 1670, il publia son Office de la sainte Vierge, dédié à la Reine, et accompagné d’une Approbation datée d’octobre 1669.

Nous avons eu occasion d’indiquer tout à l’heure combien la renommée naissante de Racine portait ombrage à Corneille, et déjà nous avions dit ailleurs quelle impatience lui causaient les plus innocentes malices de son jeune rival[129]. Soumettre deux poëtes si différents d’âge, de talent, de caractère, à un véritable concours semblait impossible. Henriette d’Angleterre y parvint pourtant, et Corneille, qui avait imprudemment accepté un sujet auquel ses qualités ne convenaient point, donna dans Tite et Bérénice (1670) une triste preuve de l’affaiblissement de son génie[130].

Le privilège de cette tragédie fait mention d’une traduction en vers de la Théhaïde de Stace, dont un livre tout au moins, le second, paraît avoir été imprimé, mais probablement comme essai et à très-petit nombre. Corneille, découragé sans doute du peu de succès de cette tentative, n’aura pas jugé à propos d’y donner suite. On n’a pas pu retrouver un seul exemplaire de l’ouvrage[131].

Il eut une heureuse inspiration en 1674, lorsqu’il se fit le collaborateur de Molière, et consacra « une quinzaine, » nous dit-il, à écrire une grande partie de la tragédie-ballet de Psyché[132], et notamment cette scène si délicate et si tendre où Psyché déclare à l’Amour les sentiments qu’il lui fait éprouver.

Après avoir composé encore quelques vers en l’honneur de Louis XIV, et particulièrement les Victoires du Roi sur les états de Hollande, autre traduction d’un poëme du P. de la Rue[133], Corneille fit jouer, en 1672, sa Pulchérie par les comédiens du Marais, et se montra satisfait du demi-succès qu’elle obtint[134]. Il l’avait lue plusieurs fois avant la représentation à des auditeurs de son choix. Il s’était fait une habitude de ces lectures. Les gens de qualité tenaient à grand honneur d’être consultés par lui, et en 1661 Molière nous présente un de ses Fâcheux s’écriant :

Je sais par quelles lois un ouvrage est parfait,
Et Corneille me vient lire tout ce qu’il fait.
(Les Fâcheux, acte I, scène i, vers 53 et 54.)

En 1674, de nouveaux malheurs de famille vinrent assaillir le poète : son vaillant fils, qui en 1667 était revenu blessé du siège de Douai, fut frappé mortellement au siège de Grave, à la tête de la compagnie qu’il commandait en qualité de lieutenant de cavalerie. Son pauvre père ne travailla plus guère à partir de ce nouveau deuil. Il termina sa carrière dramatique à la fin de lannée par Suréna[135], et n’écrivit plus que quelques petits poèmes officiels ou des suppliques en vers ou en prose.

Deux de ces pièces sont surtout intéressantes.

D’abord un placet, par lequel Corneille rappelle à Louis XIV la promesse qu’il lui a faite depuis quatre ans d’un bénéfice pour Thomas Corneille, son quatrième fils, et qu’il termine si hardiment en lui disant :

Qu’un grand roi ne promet que ce qu’il veut tenir[136].

Ce placet, qu’on était tenté de regarder comme une boutade qui, au lieu d’avoir été adressée au Roi, était demeurée renfermée dans le portefeuille du poète, ou n’avait du moins circulé que dans un petit cercle d’amis ; ce placet, que Granet croyait publier pour la première fois d’après un manuscrit, nous l’avons trouvé, non sans étonnement, imprimé en 1677 dans le Mercure un an ou deux à peine après le moment où il fut écrit. C’est là un curieux témoignage à joindre à ceux qu’une étude attentive permettrait aujourd’hui de réunir sur les libertés littéraires du siècle de Louis XIV.

Ensuite cette belle et touchante épître Au Roi, qui est comme le testament poétique de Corneille, et dans laquelle il recommande, avec une éloquence si simple, ce qu’il avait de plus cher au monde : ses chefs-d’œuvre, pour lesquels il craignait l’oubli ; puis ses deux derniers fils : le capitaine, pour qui il tremblait ; l’ecclésiastique, sur qui il cherche encore à attirer l’attention royale, et qui obtint enfin, le 10 avril 1680, l’abbaye d’Aiguevive en Touraine[137]. Se peut-il que cette noble supplique n’ait pas suffi pour assurer la tranqullité de sa vieillesse ? Pourquoi faut-il qu’il ait été obligé d’écrire à Colbert la lettre déchirante dans laquelle il se plaint du malheur qui l’accable « depuis quatre ans, de n’avoir plus de part aux gratifications dont Sa Majesté honore les lettres ? »

Aux motifs d’inquiétude qu’avait alors Corneille se joignait l’ennui d’un long procès intenté à sa famille par suite d’une tutelle de son père, et dans lequel il jugea utile d’intervenir, quoique n’ayant pas été d’abord compris dans la poursuite[138].

C’est à cette époque de la vie du poète que se rapporte la lettre suivante, écrite, en 1679, par un Rouennais à un de ses amis, et publiée par M. Em. Gaillard, qui, par malheur, ne dit ni où est l’original de la lettre, ni quel en est l’auteur, ni à qui elle est adressée[139] :

« J’ai vu hier M. Corneille, notre parent et ami ; il se porte assez bien pour son âge. Il m’a prié de vous faire ses amitiés. Nous sommes sortis ensemble après le dîner, et en passant par la rue de la Parcheminerie, il est entré dans une boutique pour faire raccommoder sa chaussure, qui étoit décousue. Il s’est assis sur une planche, et moi auprès de lui ; et lorsque l’ouvrier eut refait, il lui a donné trois pièces qu’il avoit dans sa poche. Lorsque nous fûmes rentrés, je lui ai offert ma bourse ; mais il n’a point voulu la recevoir ni la partager. J’ai pleuré qu’un si grand génie fût réduit à cet excès de misère. »

Au commencement de 1680, « sitôt, dit le Mercure[140], que le mariage (du Dauphin) fut déclaré, » Corneille, alors âgé de près de soixante-quatorze ans, alla présenter au Roi et au jeune prince une pièce de vers sur ce sujet. Tout ce morceau est empreint de la plus vive tristesse, et du sentiment, hélas ! trop sincère, qu’a le poëte de la caducité de son génie. C’est avec une réelle conviction qu’il dit au Dauphin :

Quel supplice pour moi, que l’âge a tout usé,
De n’avoir à t’offrir qu’un esprit épuisé[141] !

et qu’il termine par ces mots :

De quel front oserois-je, avec mes cheveux gris,
Ranger autour de toi les Amours et les Ris ?
Ce sont de petits dieux, enjoués, mais timides.
Qui s’épouvanteroient dès qu’ils verroient mes rides ;
Et ne me point mêler à leur galant aspect,
C’est te marquer mon zèle avec plus de respect[142].

Ce sont là les derniers vers qui nous restent de lui, les derniers sans doute qu’il ait écrits. Depuis lors son unique travail fut la révision définitive de ses œuvres pour l’édition de 1682. Il ne paraît pas que cette édition ait été bien fructueuse pour lui.

Le 10 novembre 1683, il vendit sa maison de Rouen, de la rue de la Pie, moyennant quatre mille trois cents livres, sur lesquelles il ne devait lui en revenir que treize cents, les trois mille autres étant destinées à l’amortissement de la pension, jusqu’alors garantie par cette propriété, qu’il payait pour sa fille Marguerite, religieuse au couvent des dominicaines[143]. Corneille n’intervint pas personnellement dans cet acte d’amortissement ; il n’y figure que par l’entremise de le Bovier de Fontenelle, son beau-frère ; son neveu nous apprend le triste motif qui le tint éloigné : « Ses forces, dit-il, diminuèrent toujours de plus en plus, et la dernière année de sa vie son esprit se ressentit beaucoup d’avoir tant produit et si longtemps[144]. »

Son dénûment ne fit que s’accroître à l’approche de ses derniers moments, et Boileau indigné alla chez le Roi pour faire rétablir la pension de Corneille, et offrit le sacrifice de la sienne. « Action très-véritable, dit Louis Racine, que m’a racontée un témoin encore vivant ; on a eu tort de la révoquer en doute, puisque Boursault, qui ne devoit pas être disposé à le louer, la rapporte dans ses lettres[145]. » Le Roi envoya immédiatement deux cents louis ; ce fut la Chapelle, parent de Boileau, qui fut chargé de les porter. Le P. Tournemine, qui met en doute l’exactitude de tout ce récit, convient toutefois de cette circonstance[146]. Ce secours avait été bien tardif ; l’illustre poète expira peu de jours après l’avoir reçu[147]. Il mourut dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre 1684[148].

« Comme c’est une loi dans cette Académie (l’Académie française), dit Fontenelle, que le directeur fait les frais d’un service pour ceux qui meurent sous son directorat, il y eut une contestation de générosité entre M. Racine et M. l’abbé de Lavau, à qui feroit le service de M. Corneille, parce qu’il paroissoit incertain sous le directorat duquel il étoit mort. La chose ayant été remise au jugement de la Compagnie, M. l’abbé de Lavau l’emporta, et M. de Benserade dit à M. Racine : « Si quelqu’un pouvoit prétendre à enterrer M. Corneille, c’étoit vous : vous ne l’avez pourtant pas fait[149]. »

Ce à quoi il pouvait prétendre à plus juste titre et ce qu’il obtint, ce fut l’honneur de louer dignement son illustre rival. Lorsque, le 2 janvier 1685, Thomas Corneille, élu à l’unanimité à la place que son frère laissait vacante à l’Académie française, eut prononcé son discours de réception, ce fut Racine qui lui répondit. Il sut faire de son illustre prédécesseur un portrait à la fois brillant et familier, fort connu assurément, mais dont rien ne saurait tenir lieu à la fin d’une étude sur Corneille, car en même temps qu’il résume le jugement des contemporains, il devance celui de la postérité avec une exactitude, une justesse que le temps nous permet aujourd’hui d’apprécier et d’admirer :

« Lorsque, dans les âges suivants, on parlera avec étonnement des victoires prodigieuses et de toutes les grandes choses qui rendront notre siècle l’admiration de tous les siècles à venir, Corneille, n’en doutons point, Corneille tiendra sa place parmi toutes ces merveilles. La France se souviendra avec plaisir que sous le règne du plus grand de ses rois a fleuri le plus grand de ses poëtes. On croira même ajouter quelque chose à la gloire de notre auguste monarque lorsqu’on dira qu’il a estimé, qu’il a honoré de ses bienfaits cet excellent génie ; que même, deux ou trois jours avant sa mort, et lorsqu’il ne lui restoit plus qu’un rayon de connoissance, il lui envoya encore des marques de sa libéralité, et qu’enfin les dernières paroles de Corneille ont été des remercîments pour Louis le Grand.

« Voilà, Monsieur, comme la postérité parlera de votre illustre frère ; voilà une partie des excellentes qualités qui l’ont fait connoître à toute l’Europe. Il en avoit d’autres, qui bien que moins éclatantes aux yeux du public, ne sont peut-être pas moins dignes de nos louanges : je veux dire homme de probité et de piété, bon père de famille, bon parent, bon ami. Vous le savez, vous qui avez toujours été uni avec lui d’une amitié qu’aucun intérêt, non pas même aucune émulation pour la gloire, n’a pu altérer. Mais ce qui nous touche de plus près, c’est qu’il étoit encore un très-bon académicien ; il aimoit, il cultivoit nos exercices[150] ; il y apportoit surtout cet esprit de douceur, d’égalité, de déférence même, si nécessaire pour entretenir l’union dans les compagnies. L’a-t-on jamais vu se préférer à aucun de ses confrères ? L’a-t-on jamais vu vouloir tirer ici aucun avantage des applaudissements qu’il recevoit dans le public ? Au contraire, après avoir paru en maître et, pour ainsi dire, régné sur la scène, il venoit, disciple docile, chercher à s’instruire dans nos assemblées ; laissoit, pour me servir de ses propres termes, laissoit ses lauriers à la porte de l’Académie[151] ; toujours prêt à soumettre son opinion à l’avis d’autrui, et de tous tant que nous sommes, le plus modeste à parler, à prononcer, je dis même sur des matières de poésie. »


    sont dans la liste, qui n’ont aucune part à cet ouvrage et qui ne se trouvent qu’aux assemblées solennelles de réceptions ; encore n’ai-je pas la gloire de l’invention de ce titre : elle est due au grand Corneille, qui en a été le parrain, et qui donna un billet d’exclusion au sieur de la Fontaine parce qu’il le jugeoit dangereux aux jetons, sur le fondement que c’est un misérable qu’on nourrit par charité et qui en a besoin pour subsister. On ne peut pécher après l’exemple d’un si grand homme, et son autorité est de tel poids, que tous les confrères ont suivi son exemple, et se traitent les uns les autres de jetonniers, selon qu’ils affectent plus ou moins d’être assidus, et de se trouver avant que l’heure sonne pour participer à cette distribution. » (Recueil des Factums d’Antoine Furetière, édition de M. Asselineau, tome I, p. 304.)
    Nous ne pouvons contrôler aujourd’hui ce que dit Furetière, et il serait imprudent de lui accorder trop de confiance. Remarquons toutefois que le peu de documents dont nous pouvons disposer nous montrent en effet Corneille assistant aux cérémonies publiques, mais ne prenant pas toujours une part bien active aux occupations de la Compagnie. Ainsi en 1672, lorsque l’Académie française se rend à Versailles pour remercier le Roi d’avoir remplacé le chancelier Seguier comme protecteur de la Compagnie, le Mercure du mois de mars (tome I, p. 221 et 222) signale la présence de Corneille ; au contraire, nommé membre d’une commission qui fut occupée, du 14 août au 12 octobre 1678, à réunir, pour la préparation du Dictionnaire des Observations touchant l’orthographe, il n’a même pas mis son visa à ce travail, où ses opinions sur l’orthographe, placées dans l’Avertissement de son édition du Théâtre publiée en 1663, ont été longuement discutées et en général favorablement reçues. Voyez les Cahiers de remarques sur l’orthographe françoise que j’ai publiés en 1863 (p. viii, xxiii et 97).
    Ses collègues du reste n’exigeaient pas de lui une trop rigoureuse exactitude, fiers qu’ils étaient de le posséder parmi eux. « Ce n’est pas la coutume de l’Académie, dit Segrais dans ses Mémoires, de se lever de sa place dans les assemblées pour personne, chacun demeure comme il est ; cependant lorsque M. Corneille arrivoit après moi, j’avois pour lui tant de vénération que je lui faisois cet honneur. C’est lui qui a formé le théâtre françois. » (Mémoires anecdotes de Segrais, tome II des Œuvre, p. 158.)

  1. En racontant la vie de Corneille, nous ne nous arrêterons pas à l’histoire de ses ouvrages, des succès qu’ils ont obtenus, des querelles littéraires qu’ils ont excitées. Cette histoire se trouve dans les notices que nous avons placées en tête de chacun d’eux ; nous nous contentons de les mentionner ici rapidement à leur date, en prenant soin toutefois de signaler et de corriger les erreurs qui nous sont échappées (voyez aussi à ce sujet les Additions et Corrections, tome XII, p. 567-570). Divers détails qui eussent été de trop dans la Notice biographique auront leur place dans les annexes que nous donnons à la suite, à savoir dans les Pièces Justificatives, et dans le Tableau généalogique. Nous avons aussi rédigé une Table chronologique, où l’on pourra suivre année par année le développement et le déclin du génie de Corneille.
  2. Jusqu’ici les biographes ont généralement ajouté au nom de Lepesant celui de Boisguilbert ; mais il résulte d’une découverte récente de M. Gosselin que le titre de Boisguilbert n’appartenait pas à Marthe, mère de Corneille, mais seulement au frère de celle-ci, et qu’il fut acquis par lui longtemps après la naissance du poète.
  3. Voyez un dessin de cette maison dans l’Album qui accompagne notre édition de Corneille. En 1821, M. de Jouy l’a visitée et l’a décrite dans son Hermite en province (tome XIII des Œuvres, p. 155 et suivantes). À cette époque elle était recouverte d’un crépi qui en avait changé l’aspect ; on y avait placé un buste de Corneille et une inscription où la date de sa naissance avait été confondue avec celle de son baptême, et qui plus tard fut ainsi rectifiée :

    Ici
    est né, le 6 juin 1606,
    Pierre Corneille.


    Cette maison ayant été démolie, ainsi que l’habitation contiguë où était né Thomas Corneille, elles furent remplacées par des magasins ; il ne reste plus, pour rappeler le souvenir de l’une et de l’autre, que la porte d’entrée de la première, transportée au musée d’archéologie de Rouen, et la nouvelle inscription que voici, qui fut rédigée en 1857 par l’Académie de Rouen :

    Ici
    étaient les maisons
    où sont nés les deux Corneille :
    Pierre, le 6 juin 1606 ;
    Thomas, le 24 août 1625.


    Cette inscription n’est point placée, par suite du refus du propriétaire, sur la maison où elle aurait du être ; elle se trouve à une certaine distance des deux endroits, très-voisins l’un de l’autre, où sont nés les frères Corneille. (Voyez le Bulletin des travaux de la Société libre d’émulation, du commerce et de l’industrie de la Seine-Inférieure, 1857-58, p. 140, et le Précis analytique des travaux de l’Académie de Rouen, 1857-58, p. 204.)

  4. Voyez ci-après. Pièces justificatives, n° I.
  5. Pierre Corneille (le père), par E. Gossellin, Rouen, 1864, in-8°.
  6. Voyez, dans notre Album, le dessin de la propriété de Petit-Couronne.
  7. Catalogue des principaux livres de la bibliothèque de feu M. Villenave… dont la vente aura lieu… le lundi 15 février 1848… Paris, Chinot, in-8°, n° 969.
  8. Voyez Pierre Corneille et son temps… par M. Guizot, Paris, 1858, in-12, p. 143, note 2.
  9. Voyez notre tome IV, p. 3.
  10. Ce passage latin est emprunté à la viie satire de Juvénal, vers 207, 209 et 210. — Le volume de la bibliothèque de la Sorbonne a déjà été décrit dans un article de l’Athenœum français du 22 décembre 1855 (p. 1114), signé A. de Bougy, et dans l’édition de la traduction de l’Imitation par Corneille, publiée en 1857 par M. Alexandre de Saint-Albin, chez l’éditeur Lecoffre.
  11. Tome X, p. 220-222.
  12. Voici le texte latin : Magnam ille sihi meritis suis quæsiverat nominis claritatem, planeque regnabat in theatris, quum decoris sui oblitus demittere cœpit animum ad levissimas scriptiones, ingenii sui præstantia minime dignas. Si quod enim felicibus auspiciis exierat carmen ex scholasticorum exhedris, his se dabat interpretem quos vix operum snorum interpretes ferre debuisset. (P. D. Huetii Commentarius de rebus ad eum pertinentibus, liber V, p. 313. Amstelodami, 1718.)
  13. Voyez Pièces justificatives, n° II.
  14. Nouvelles de la république des lettres, janvier 1685, 2e édition, p. 89. — Voyez ci-après, Pièces justificatives, n° III.
  15. Pierre Corneille {le père), p. 4.
  16. Particularités de la vie judiciaire de Pierre Corneille, par E. Gosselin, Rouen, 1865, p. 6.
  17. Tome X, p. 77.
  18. Voyez tome I, p. 127 et 128.
  19. Particularités de la vie judiciaire de P. Corneille, p. 15.
  20. Voyez tome I, p. 126.
  21. Voyez tome X, p. 77.
  22. Tome X, p.26.
  23. Tome X, p. 55.
  24. Tome I, p. 270.
  25. Ibidem.
  26. Tome X, p. 24 et suivantes.
  27. Tome X, p. 57.
  28. Voyez tome X, p. 71.
  29. Tome III, p. 207 et suivantes.
  30. Tome III, p. 3 et suivantes.
  31. Tome X, p. 74 et 79.
  32. Tome II, p. 118.
  33. Tome XII, p. 441-461.
  34. Tome XII, p. 502-515.
  35. Tome III, p. 53-76.
  36. Tome XII, p. 463-501.
  37. Voyez Pièces justificatives, n° IV, et, dans l’Album les armoiries de la famille Corneille.
  38. Tome III, p. 16.
  39. On appelait ainsi, dit l’Académie, un officier établi pour commander aux gardes d’une forêt éloignée des maîtrises.
  40. Voyez Pièces justificatives, n° V.
  41. Voyez ibidem, n° VI.
  42. Voyez au tome III, p. 254-257, ce que nous avons dit de cette lecture, dont les biographes de Corneille n’avaient pas parlé jusqu’ici.
  43. Voyez tome III, p. 254
  44. Œuvres de Fontenelle, Vie de Corneille, tome III, p. 122 et 123 (édition de 1742).
  45. Petri Cornelii Epicedium.

    Hos versus scripsi quum falso nohis nuntiatum fuisset Cornelium, quo die uxorem duxerat, diem suum ex peripneumonia obiisse : nam vivit Cornelius, et precor vivat.

    . . . . . . . . . . . . . . . . . .
    Vita fugit, sed fama manet tua, maxime vatum,
    Sæcla feres Clarii munere longa Dei.
    Donec Apollineo gaudebit scena cotthuirno,
    Ignes dicentur, pulchra Chimena, tui ;
    Quos maie qui carpsit, dicam, dolor omnia promit,
    Carminis Iliaci nobile carpat opus.
    Itale, testis eris ; testis qui flumina potas
    Flava Tagi ; nec tu, docte Batave, neges :
    Omnibus in terris per quos audita Chimena ;
    Jamque ignes vario personat ore suos.
    Nec tu, crudelis Medea, taceberis unquam,
    Non Graia inferior, non minor Ausonia.
    Vos quoque tergemini, mavortia pectora, fratres,
    Et te, Cinna ferox, fama loquetur anus.
    Quid referam soccos, quos tempera nulla silebunt,
    Totque, Elegeia, tuos, totque, Epigramma, sales ?
    . . . . . . . . . . . . . . . . . .
    (Miscellanea, 1652, in-4°, p. 17-20.)
  46. Tome X, p. 437.
  47. Corneille fut de son temps un poëte fort à la mode, et fort admiré des précieuses. On pourrait l’établir par de très-nombreux témoignages. On lit dans le Dictionnaire des précieuses de Somaize (édition de M. Livet, tome I, p. 290) : « Noziane (la comtesse de Noailles) est une précieuse aussi spirituelle qu’elle a l’humeur douce. Elle aime le jeu ; les vers lui plaisent extraordinairement, mais elle ne les sauroit souffrir s’ils ne sont tout à fait beaux, et c’est par cette raison qu’elle protège les deux Cléocrites (Pierre et Thomas Corneille), qui ne font rien que d’achevé, et qui, dans la composition des jeux du cirque, surpassent tous les auteurs qui ont jamais écrit. » — Dans un opuscule intitulé la belle de Ludre, Nancy, 1861, on trouve le passage suivant, tiré d’une oraison funèbre inédite : « Les Benserade, les Racine, les Corneille rendront témoignage que personne ne savoit mieux estimer les choses louables, ni mieux louer ce qu’elle estimoit. »
  48. Tome X, p. 10 et 11.
  49. Voyez tome III, p. 466.
  50. Anecdotes dramatiques, tome II, p. 84.
  51. Tome III, p. 264 et 255.
  52. Des Jugements, n 56, tome II, p. loi de l’édition de M, Servois.
  53. « Corneille ne sentoit pas la beauté de ses vers, » a dit Segrais (Mémoires anecdotes, tome II des Œuvres, 1755, p. 51). Charpentier, plus rigoureux, accusant, comme d’autres l’ont fait, Corneille d’avidité et d’avarice, s’exprime ainsi ; « Corneille…, avec son patois normand, vous dit franchement qu’il ne se soucie point des applaudissements qu’il obtient ordinairement sur le théâtre, s’ils ne sont suivis de quelque chose de plus solide. » (Carpenteriana, Paris, 1724, p. 110.)
  54. Mélanges d’histoire et de littérature, recueillis par Vigneul Marville (Bonaventure d’Argonne), 1701, tome I, p. 167 et 168.
  55. Œuvres de Fontenelle, tome III, p. 124 et 125.
  56. Tome X, p. 477
  57. Voyez tome III, p. 466-468.
  58. Voyez tome X, p. 424. — Si cette date était adoptée, ce serait à la lecture de Polyeucte dont nous venons de parler que se rapporterait en partie le passage suivant de la Bibliothèque de Goujet, que nous avons cité au tome IV (p. 277*), dans la Notice de la Suite du Menteur. « Ces lettres (de Chapelain)… montrent aussi que Corneille fréquentolt souvent M. le chancelier Seguier et l’hôtel de Rambouillet, et qu’il lisoit ses pièces dramatiques avant de les livrer au théâtre. » (Lettres du 16 août 1643 et du 8 novembre 1652.).
    *. Où il faut, dans la note 2, remplacer tome XVII par tome XVIII.
  59. Tome IV, p. 130.
  60. Voyez Pièces justificatives, n° VII.
  61. Tome IV, p. 899.
  62. Voyez Pièces justificatives, n° VIII.
  63. Voyez notre tome X, p. 104 et suivantes.
  64. Corneille disait un jour avec orgueil que « lui et Rotrou feroient subsister des saltimbanques. » (Menagiana, Paris, 1715, tome III, p. 306.)
  65. Tome X, p. 445.
  66. Tome V, p. 115 et 116.
  67. Bolæana, Amsterdam, 1742, p. 112.
  68. Tome V, p. 141.
  69. Il faut consulter sur les portraits de Corneille l’excellente notice de M. Hellis intitulée : Découverte du portrait de Corneille peint par Ch. Lebrun, Rouen, le Brument, 1848, in-8°. L’auteur signale particulièrement : le portrait gravé, in-4°, de Michel Lasne, qui porte la date de 1643, et qui a été reproduit plusieurs fois en tête des œuvres du poëte, notamment dans l’édition in-12 de 1644 ; le portrait fait par le Brun en 1647, gravé en 1766 par Ficquet, et dont on peut voir la reproduction dans l’Album qui accompagne notre édition ; le portrait gravé par Vallet, d’après le dessin de Paillet, pour l’édition in-folio, de 1663, du Théâtre de Corneille ; enfin le portrait maladroitement flatté et fort peu ressemblant exécuté par Sicre, gravé par Cossin en 1683, et par Lubin pour les Hommes Illustres de Perrault, publiés de 1696 à 1701. On voit au musée de Rouen, sous le n° 477, un « Portrait de Pierre Corneille par Philippe de Champaigne, acquis en 1860 ; » mais cette attribution à Philippe de Champaigne ne paraît pas mériter beaucoup de confiance.
  70. Tome X, p. 116.
  71. Tome X, p. 449. — Voyez aussi la Notice d’Andromède, tome V, p. 248-251.
  72. Tome X, p. 122.
  73. Tome X, p. 462 et 453.
  74. Tome X, p. 125-128.
  75. Voyez tome V, p. 399 et 400.
  76. Gazette de 1650, p. 184, et p. 307 et 308.
  77. Voyez Pièces justificatives, n° IX.
  78. Voyez Pièces justificatives n° X.
  79. Tome VI, p. 5.
  80. Tome VI, p. 5.
  81. Livre I, épître i, vers 8 et 9.
  82. Idée des spectacles anciens et nouveaux, par M. M. D. P. (Michel de Pure). À Paris, chez Michel Brunet, 1668, p. 168.
  83. Tome VIII, p. 17.
  84. Voyez Pièces justificatives n° XI.
  85. Voyez tome X, p, 458-473.
  86. La bibliothequee mise en vente, par suite de saisie, était celle d’un commis au greffe du parlement de Normandie. On lit dans le procès-verbal de la première vacation :
    Corneille. Neuf livres in-octavo couverts de parchemin, tous différents,
    10.contre les jésuites, adjugés à M. Corneille, demeurant
    rue de la Pie, à 6 livres.
    Dans celui d’une vacation suivante :
    Corneille. Un Blondi de Roma triumphante, in-folio couvert en
    227.bois, adjugé audit sieur Corneille, à 8 livres.
    Et enfin dans la sixième et dernière :
    Corneille. Un Dante italien, in-folio, adjugé audit sieur Corneille,
    244.12 livres.

    Rien jusque-là ne prouve qu’il soit ici question de Pierre plutôt que de Thomas. M. Gosselin, prévoyant l’objection, la réfute ainsi : « À cela je n’ai qu’une réponse à faire : c’est que l’année dernière, ayant trouvé à la foire de Saint-Romain un mauvais exemplaire de de Roma triumphante, j’y ai vu, à ne m’y pas tromper, cinq à six mots de la main de Pierre Corneille. J’ai voulu l’acheter, mais il était trop tard ; une personne, que je n’ai pu connaître, l’avait, avant moi, payé et fait mettre en réserve. » (Œuvres complètes de P. Corneille, édition de M. J. Taschereau, 1857, tome I, p. xxiv et xxv.)
    Il serait fort intéressant de reconstituer la bibliothèque de Corneille. Par malheur, je n’ai à mentionner, outre le volume qui lui fut donné en prix (voyez ci-dessus, p. xix), et ceux qui précèdent, que deux autres ouvrages. Encore le second donne-t-il lieu à un doute très-fondé (voyez ci-après). Ce sont : 1° les Tableaux des deux Philostrate, volume in-folio, qui porte au commencement la signature de Pierre Corneille et à la fin celle de Thomas Corneille, et était conservé par un M. de Boisguilbert près de Louviers ; le sujet de Rodogune fait partie de ces tableaux ; c’est peut-être la vue de la gravure qui a donné au poëte l’idée de le traiter. 2° Aresta amorum, Parisiis, apud J. Ruellium. Sur le titre est écrit : Par Martial d’Auvergne, procureur au parlement de Paris, Corneille ai… La fin du mot est dans la marge et ne se lit pas bien. L’orthographe ainé, avec un accent circonflexe, n’était pas inconnue du temps de Corneille ; mais nous avons toute raison de croire que ce n’était pas la sienne (voyez tome XI, p. xc).
    Le premier de ces renseignements nous a été fourni par un carton de Notes et documents manuscrits relatifs à P. Corneille, venant de M. Houel et de quelques autres personnes, et faisant partie de la bibliothèque de M. le baron Taylor, qui a bien voulu nous les communiquer ; le second est dû à l’obligeance de M. Julien Travers.
  87. Tome X, p. 133.
  88. Tome X, p. 135.
  89. Tome X, p. 137.
  90. Tome X, p. 473-476.
  91. Tome X, p. 168.
  92. 2. Voyez tome X, p. 146, note 2.
  93. Tome X, p. 148 et 149.
  94. Tome VI, p. 122.
  95. Tome VI, p. 124.
  96. Tome VI, p. 126.
  97. Tome X, p. 153.
  98. Tome VI, p. 223-227.
  99. Tome X, p. 482.
  100. Santeul, dans un passage curieux, qu’on a négligé de recueillir, nous montre notre poëte préoccupé de l’avenir, et prévoyant que sa diction paraîtra un jour surannée : « La langue françoise est une grande reine qui change de siècle en siècle d’équipage et de couleurs, parce que l’usage est un tyran qui la gouverne sans raison. Le grand Corneille me dit très-souvent (lui dont le théâtre est si bien paré) qu’il sera un jour habillé à la vieille mode. » (Réponse de Santeul à la critique des inscriptions faites pour l’arsenal de Brest)
  101. Pratique du théâtre, p. 26 et 27.
  102. Ibidem, p. 403.
  103. Tome X, p. 486.
  104. Tome I, p. 16.
  105. Tome X, p. 487.
  106. Voyez tome X, p. 488 et 489.
  107. Voyez tome X, p. 489-492.
  108. Voyez tome X, p. 490, notes 1, 4 et 5, et p. 491, note 4.
  109. Voyez tome VI, p. 353 et 354.
  110. Voyez tome X, p. 494
  111. Tome X, p. 496.
  112. Voyez tome X, p. 367 et 368.
  113. Voyez tome X, p. 183 de notre édition.
  114. Œuvres complètes de P. Corneille, 1857, tome I, p. xxvi.
  115. Voyez Pièces justificatives, n° XII.
  116. Voyez Pièces justificatives, n° XIII.
  117. Cette liste, de format in-4°, a été publiée chez Pierre le Petit, imprimeur ordinaire du Roi et de l’Académie. L’exemplaire que nous en avons vu appartient à la Bibliothèque impériale, où il porte le n° Z2284. L’article consacré à Corneille y est ainsi conçu :
    1647. Pierre Corneille, cy-deuant Aduocat General à la Table
    de marbre de Normandie, rue de Clery.
  118. Voyez tome X, p. 175.
  119. Voyez ibidem, p. 176.
  120. Tome VI, p. 449 et suivantes.
  121. Seconde Dissertation…, sur… Sertorius. Recueil de Granet, tome I, p. 285.
  122. Tome IX, p. 6.
  123. Hommes illustres, Paris, 1677 et 1678, p. 96.
  124. Tome X, p. 185.
  125. Voyez tome X, p. 498.
  126. Voyez tome X, p. 189, note 2. — Rappelons à ce propos que Corneille n’habitait pas alors rue d’Argenteuil, puisque, comme nous l’avons vu, il logeait encore en 1676 rue de Cléry.
  127. Tome X, p. 383. — La devise placée en tête de cette élégie est reproduite dans la Philosophie des images du P. Menestrier, 1682, p. 314.
  128. Voyez tome X, p. 193.
  129. Voyez ci-dessus, p. lii, et tome III, p. 107, note 2. — La plupart des témoignages contemporains établissent que Corneille était exempt de toute envie, mais que, de fort bonne foi, il n’appréciait pas à sa valeur le talent de Racine. Valincourt dit, en parlant de ce poëte, dans une lettre adressée à l’abbé d’Olivet : « qu’étant allé lire au grand Corneille la seconde de ses tragédies, qui est Alexandre, Corneille lui donna beaucoup de louanges, mais en même temps lui conseilla de s’appliquer à tout autre genre de poésie qu’au dramatique, l’assurant qu’il n’y étoit pas propre. Corneille étoit incapable d’une basse jalousie : s’il parloit ainsi à Racine, c’est qu’il pensoit ainsi ; mais vous savez qu’il préféroit Lucain à Virgile. » (Histoire de l’Académie françoise, édition de M. Livet, tome II, p. 336.) Il était particulièrement blessé du défaut d’exactitude historique qu’il remarquait dans certains ouvrages de Racine : « Étant une fois près de Corneille sur le théâtre, à une représentation de Bajazet, il me dit : « Je me garderols bien de le dire à d’autre que vous, parce qu’on diroit que j’en parlerois par jalousie ; mais prenez-y garde, il n’y a pas un seul personnage dans le Bajazet qui ait les sentiments qu’il doit avoir, et que l’on a à Constantinople : ils ont tous, sous un habit turc, le sentiment qu’on a au milieu de la France. » Il avoit raison, et l’on ne voit pas cela dans Corneille : le Romain y parle comme un Romain, le Grec comme un Grec, l’Indien comme un Indien, et l’Espagnol comme un Espagnol. » (Mémoires anecdotes de Segrais, tome II des Œuvres, 1755, p. 43.)
  130. Voyez tome VII, p. 185-196. — Nous avons reproduit à la page 193 de la Notice de Tite et Bérénice quatre vers rapportés par Subligny, dont nous ne connaissions pas l’auteur et que nous regardions comme étant probablement de celui qui les avait cités. Voici la pièce même d’où ils sont tirés ; nous en devons la communication à l’obligeance de M. Paul Lacroix :
    À Monsieur de Corneille l’aîné, sur le rôle de Tite
    dans sa Bérénice.
    Quand Tite dans tes vers dit qu’il se fait tant craindre,
    Qu’il n’a qu’à faire un pas pour faire tout trembler,
    Corneille, c’est Louis que tu nous veux dépeindre ;
    Mais ton Tite à Louis ne peut bien ressembler :
    Tite, par de grands mots, nous vante son mérite ;
    Louis fait, sans parler, cent exploits inouïs ;
    Et ce que Tite dit de Tite,
    C’est l’univers entier qui le dit de Louis.


    (Billets en vers de M. de Saint-Ussans. Paris, Jean Guignard et Hilaire Foucault, 1688, p. 6.)

  131. Voyez tome X, p. 245 et 246.
  132. Voyez tome VII, p. 280 et 288.
  133. Tome X, p. 252.
  134. Voyez tome VII, p. 378.
  135. 2. Tome VII, p. 455.
  136. Tome X, p. 308.
  137. Tome X, p. 313 et 314, et p. 501.
  138. Voyez Pièces justificatives, n° XIV.
  139. Nouveaux Détails sur P. Corneille, dans le Précis analytique des travaux de l’Académie de Rouen, 1834, p. 167.
  140. Le Mercure galant, mars 1680, p. 261.(>i.
  141. Tome X, p. 334.
  142. Tome X, p. 339.
  143. Notice sur la maison et la généalogie de Corneille, par A. G. Ballin, Rouen, mai 1833, p. 8. — Voyez les Pièces Justificatives, n° XV.
  144. Œuvres de Fontenelle, tome III, p. 120.
  145. Mémoires sur la Vie de Jean Racine, dans les Œuvres de Racine publiées par M. Mesnard, tome I, p  265. — Boursault rapporte le fait à la page 465 des Lettres nouvelles.
  146. Défense du grand Corneille en tête des Œuvres diverses de P. Corneille (Paris, 1788, in-12), p. XXXII et XXXIII.
  147. Mercure galant, octobre 1684, p. 79.
  148. Voyez République des lettres, janvier 1685, p. 33 ; et ci-après, Pièces justificatives, n° XVI.
  149. Œuvres de Fontenelle, tome III, p. 120.
  150. Il serait assez difficile de déterminer au juste dans quelle mesure Corneille participait aux travaux de l’Académie ; toutefois le passage suivant des Factums de Furetière semble indiquer qu’il n’assistait pas fort régulièrement aux séances ordinaires :
    « Si en général j’ai appelé jetonniers ceux qui sont assidus à l’Académie pour vaquer au travail du Dictionnaire, je n’ai pu trouver de nom plus propre et plus significatif pour les distinguer des académiciens illustres par leur qualité et par leur mérite, dont les noms
  151. Laisse en entrant ici tes lauriers à la porte.
    (Horace, vers 1376, tome III, p. 342.)