Correspondance 1812-1876, 2/1846/CCLVII

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CCLVII

À MADAME MARLIANI, À PARIS


Nohant, 1er septembre 1846.


Chère amie,

Merci mille fois ! mais Solange ne serait point en état de faire le voyage de Paris dans ce moment-ci, à moins d’y aller à petites journées, comme nous faisons nos courses de campagne. D’ailleurs, je n’ai pas plus de confiance en M. Royer qu’en Papet, et je crois que la médecine ne sait rien pour ces maladies de langueur. Nous partons aujourd’hui pour divers points du Berry et de la Creuse, où nous nous arrêterons chaque fois un jour ou deux. Elle est un peu mieux depuis trois jours, mais toujours sans appétit et sans sommeil. Une petite fatigue lui est bonne, une grande fatigue très mauvaise. Nous avons été avant-hier à Châteauroux reconduire Delacroix et recevoir Emmanuel qui a fait un peu la grimace à l’idée de se remballer tout de suite, dans d’assez mauvais chemins et pour d’assez mauvais gîtes. Mais il aime encore mieux cela que de rester tout seul ici.

Je vous écris à la hâte. Oui, vous devriez aller passer cette quinzaine encore en Normandie, si le voyage est court et pas fatigant ; car les beaux jours ne dureront peut-être pas cet automne. Nous avons ici de grandes chaleurs et de grandes pluies qui semblent nous annoncer un hiver précoce. Moi, je n’ose pas vous répondre de l’emploi de mon mois de septembre. Je suis tourmentée et je suis décidée à tout essayer pour que ce triste état de Solange ne s’installe pas chez elle pour tout l’hiver. Vous êtes mille fois bonne de m’offrir un gîte. Nous avons toujours notre appartement du square Saint-Lazare et rien ne nous empêcherait d’y aller. Mais Papet ne me conseille pas du tout les longues étapes pour Solange ; au contraire, elles irritent beaucoup notre malade. Nous la promenons une lieue à cheval, une lieue en voiture ; puis on se repose, on reprend, et toujours ainsi. Je tâche de l’égayer ; mais je ne suis pas gaie au fond. Elle est bien sensible à l’intérêt que vous lui témoignez et me charge de vous en remercier. Elle vous recommande de ne pas faire comme elle, et d’être bien portante avant tout.

Adieu, chère ; je vous embrasse tendrement, et je pars.

GEORGE.