Correspondance 1812-1876, 5/1865/DLXXXIX

La bibliothèque libre.



DLXXXIX

À SON ALTESSE LE PRINCE NAPOLÉON (JÉRÔME),
À PARIS


Palaiseau, 1er juin 1865.


Cher grand ami,

Maurice m’envoie pour vous un mot du cœur que je vous transmets.

Si vous étiez un ambitieux, je vous dirais que ce qui arrive est bien heureux pour vous et vous place bien haut ! Mais vous aimez le progrès pour lui-même et vous souffrez quand il s’arrête, même à votre profit. Et puis vous êtes loyal et votre âme souffre d’être méconnue. Je sens tout cela et je suis indignée de voir l’esprit du passé souffler sur toutes les idées vraies.

Quelle triste situation que celle d’un homme qui rêve le pouvoir absolu, et qui croit l’atteindre en étouffant la vérité ! tout cela, voyez-vous, c’est la faute à César. On rêve de résumer en soi une sagesse providentielle, et on oublie que les hommes d’aujourd’hui ont tous reçu de la Providence, c’est-à-dire de la loi qui préside à leur émancipation, une dose de sagesse qu’il faut connaître et consulter avant d’oser dire : « Il n’y a qu’un maître et c’est moi ! » Comme c’est vieux, cette doctrine de l’autorité d’un seul, et comme c’est vide au temps où nous vivons ! comme le genre humain tout entier proteste, sciemment ou non, contre cette chimère ! C’est le fatal chemin de l’éternel désastre.

Dormez tranquille, votre conscience est en paix. Vous pouvez rire de ceux qui disent : « Il veut le bien, donc il a de mauvais desseins. »

Plaignez ceux qui pensent ainsi et comptez que la France n’est pas avec eux et vous rend justice. Quel beau et noble talent vous avez ! On ne pourra jamais vous empêcher d’être ce que vous êtes. Il n’est pas adroit, si l’on s’en inquiète, de le manifester publiquement.

G. SAND.