Correspondance 1812-1876, 6/1872/DCCCLX
DCCCLX
À M. EDMOND PLAUCHUT, À PARIS
Te voilà donc à Paris, mon gros requin ! nous voilà donc encore une fois séparés par des heures de chemin de fer ! Les petites demandent déjà quel jour tu reviendras. En attendant, nous avons fait arranger la cheminée de ta chambre. Ayant enfin mis la main sur un Piémontais qui paraît connaître son affaire et qui baragouine l’italien dans ton genre ; nous espérons que tu n’auras plus de fumée. Il a remis à neuf le calorifère. La salle à manger est tendue d’un tapis mosaïque qui n’exposera plus ton noble individu à des chutes dommageables. Les pastèques dont tu as fourni la graine violette et la chair rose ont fait des petits excellents dont nous faisons orgie, Lina et moi. Fadet a été fort content de nous revoir, mais il est vite remonté flairer à ta porte pour savoir si tu étais revenu. Notre voyage a été plus long de quatre heures que celui de Paris à Trouville. Pourtant je n’ai pas été fâchée de traverser toute la Normandie, le Maine, et une partie du Berry que je connaissais peu. C’est très joli d’un bout à l’autre ; mais force nous a été de reconnaître que la grande coupe de la vallée Noire, vue de Corlay, enfonçait tous les paysages vus en route, et que, cette année, nous sommes encore plus verts et plus frais que la Normandie. Titite a trouvé que le sable de la terrasse devant le perron était une plage bien petite. Moi, j’ai couru à la rivière hier et avant-hier. La cascade est bien petite depuis que tu ne la démolis plus à ta guise ; mais il y a encore de quoi se coucher dans une eau bien courante et bien claire ; j’aime mieux ça que la vague et le public. Mais les autres ont voulu garder leur salaison et je suis seule à braver cette eau vraiment glaciale. J’ai fait, hier et ce matin, mon feuilleton bimensuel, où j’ai réussi à parler tout au long des idées de Favre, Dumas et Girardin sans dire un mot d’eux ni de leurs écrits. Me voilà réemboitée dans ma vie de travail et de tranquillité ; mais mon Plauchemar me manque et il y a un trou dans mon Éden quand sa grosse panse n’est pas là pour le remplir. Dépêche-toi de courir, de chasser, de t’amuser et reviens vite au bercail. Nous te bigeons tous bien fort.
Solange est en Suisse. Je lui ai écrit qu’en dépit de ses injures, tu l’embrassais, par habitude. Juliette[1] m’a annoncé le mariage de Toto : elle en parait grisée, comme elle se grise de tout.
J’ai reçu le livre de Girardin. Il est beaucoup plus dans le vrai que les autres. N’importe, si tu rencontres madame de *** et qu’elle t’empêche de revenir bientôt,… tue-la !
Oh ! la la !
- ↑ Madame Edmond Adam.