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Correspondance 1812-1876, 6/1872/DCCCLXII

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Texte établi par Calmann-Lévy,  (Correspondance Tome 6 : 1870-1876p. 226-227).


DCCCLXII

À M. SCIPION DU ROURE, À DIVONNE


Nohant, 30 août 1872.


Cher vieux ami,

Votre lettre a couru après moi, qui courais sur la côte normande avec mon fils, ma belle-fille et mes deux petites-filles, Aurore et Gabrielle. Enfin, votre lettre et moi, nous nous sommes rejoints à Nohant, où nous voilà réinstallés. Nous y vivons toujours, sauf les voyages d’affaires à Paris, où nous avons un pied-à-terre, et quelques voyages d’agrément ou de santé de loin en loin. Votre bon souvenir m’est cher et je vous blâme de ne pas me le manifester plus souvent. Il aurait été, il sera toujours bien accueilli. Je suis heureuse de vous savoir heureux ; car c’est l’être autant que possible que d’avoir des enfants et de quoi les bien élever. Les vôtres sont dans l’âge intéressant, les miens dans l’âge raisonnable ; mes petits-enfants dans l’âge charmant. Aurore est ma passion, passion partagée, je l’espère ; car nous vivons beaucoup ensemble et nous nous entendons au mieux. Elle est très intelligente et bonne comme un ange. Elle a six ans et demi et vient de faire connaissance avec la mer, où elle est intrépide. Votre ami Maurice a les cheveux plus gris que les miens. À cela près, il est resté jeune et est devenu grand piocheur en tout. Toujours excellent fils et compagnon agréable. J’ai eu le bonheur de trouver une belle-fille charmante et d’avoir, sur mes vieux jours, un intérieur parfaitement heureux dont je ne sors plus que contrainte et forcée. Solange, après bien des vicissitudes, se porte bien et vient nous voir de temps en temps. Elle s’est fixée, pour raison de santé, à Cannes, où elle s’est bâtie une maison. L’été, elle court, et, cette année, elle est en Suisse, bien près de vous probablement, car sa dernière lettre est de Genève. Voilà notre bulletin commun. Pour moi, j’ai trouvé, en vieillissant, une santé que je n’avais pas étant jeune. Je n’ai aucune infirmité, je travaille sans fatigue et je suis forte et alerte. Mais j’ai soixante-huit ans et tout cela ne peut plus durer bien longtemps désormais. Je tâcherai d’aller tant que je me sentirai utile. Jusqu’à la fin, je me rappellerai avec bonheur mes vieilles amitiés. Croyez bien que je suis toujours, ainsi que Maurice, à vous de cœur.

G. SAND.