Correspondance 1812-1876, 6/1873/CMI
CMI
À GUSTAVE FLAUBERT, À CROISSET
L’existence de Cruchard est un beau poème, tellement dans la couleur, que je ne sais si c’est une biographie de ta façon ou la copie d’un article fait de bonne foi. J’avais besoin de rire un peu après le départ de tous les Viardot et du grand Moscove[1] qui a été charmant. Il est parti très bien et très gai, mais regrettant de n’avoir pas été chez toi. La vérité est qu’il a été malade à ce moment-là. Quel aimable, excellent et digne homme ! Et quel talent modeste ! On l’adore ici et je donne l’exemple. On t’adore aussi, Cruchard de mon cœur. Mais tu aimes mieux ton travail que tes camarades, et, en cela, tu es un être inférieur au vrai Cruchard, qui, du moins, adorait notre sainte religion.
À propos, je crois que nous aurons Henri V. On me dit que je vois en noir ; je ne vois rien, mais je sens une odeur de sacristie qui gagne. Si cela ne devait pas durer longtemps, je voudrais voir nos bons bourgeois cléricaux subir le mépris de ceux dont ils ont acheté les terres et pris les titres. Ce serait bien fait.
Quel temps admirable dans nos campagnes ! Je vais encore tous les jours me plonger dans le bouillon froid de ma petite rivière et je me rétablis. J’espère reprendre demain le travail absolument abandonné depuis six mois. Ordinairement, je prends des vacances plus courtes mais toujours la floraison des colchiques dans les prés m’avertit qu’il faut se remettre à la pioche. Nous y voici, piochons. Aime-moi comme je t’aime.
Mon Aurore, que je n’ai pas négligée et qui travaille bien, t’envoie un gros baiser. Lina, Maurice, te disent des tendresses.
- ↑ Tourguenef.