Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1943

La bibliothèque libre.
Louis Conard (Volume 8p. 375-376).

1943. À SA NIÈCE CAROLINE.
Croisset, mardi 3 heures [3 février 1880].
Chérie,

C’est encore moi.

D’abord : merci pour la note sur l’art du dessin. Elle est parfaite, et je défie nos plus grands artistes… d’en dire tant en si peu de mots, les peintres étant généralement très bornés. Mais mon loulou (qui est fortement mon élève), ayant fait des études philosophiques, a pris l’habitude de penser, et de se rendre compte des choses. Tu n’imagines pas comme ce petit renseignement m’a fait plaisir sous tous les rapports. Il provient d’une bonne caboche. Je la prends par les deux oreilles, cette caboche, et la couvre de bécots…

Depuis que tu es venue ici, il m’ennuie de toi plus qu’auparavant ! Remercie Ernest pour son envoi de journaux.

Spurzheim est le collaborateur de Gall dans son grand ouvrage, Anatomie du cerveau, etc…, où sont posés les principes de la Phrénologie.

Le père Grout a été fanatique de Phrénologie. L’Éducation de Spurzheim se trouve peut-être dans sa bibliothèque. S’en informer à Sabatier ou à Mme Grout. Par la même occasion, tendres amitiés à Frankline.

Toute la journée d’hier a été consacrée a Fortin[1]. Le pauvre garçon pleurait à torrents. Ce que voyant, Vieux a fait comme lui.

Voilà trois jours que je perds absolument à lire des romans et à écrire des lettres !!! Je suis Hindigné ! Mais ça va finir.

J’ai écrit à Charpentier de me chercher Spurzheim, mais quand le P. Didon sera remis de la « tablature des auteurs », comme disait Fellacher[2], s’il pense à moi, il m’obligera. Il faut que tu te procures, pour ton plaisir, le numéro du Voltaire du 30 janvier, vendredi[3]. Tu verras comment on y parle de Cro-Magnon (11, faubourg Montmartre).

Je suis si exaspéré par les en-dehors de Bouvard et Pécuchet que je vais dépasser Cro-Magnon, je deviens

Néanderthal !

Ne ménage pas mon papier. Encore un baiser, ma chère fille.


  1. Il venait de perdre sa mère.
  2. Son professeur d’écriture quand il était tout enfant.
  3. Le Voltaire du 30 janvier 1880 : Histoire d’un ours, par Gustave Goetschy (c’est-à-dire histoire du Château des Cœurs).