Correspondance de Voltaire/1731/Lettre 211

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Correspondance de Voltaire/1731
Correspondance : année 1731GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 210-211).
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211. — À M. FAVIÈRES.

4 mars.

Je vous suis très-obligé, mon cher Favières, des vers latins et français que vous avez bien voulu m’envoyer. Je ne sais point qui est l’auteur des latins[1] ; mais je le félicite, quel qu’il soit, sur le goût qu’il a, sur son harmonie, et sur le choix de sa bonne latinité, et surtout de l’espèce convenable à son sujet.

Rien n’est si commun que des vers latins, dans lesquels on mêle le style de Virgile avec celui de Térence, ou des épîtres d’Horace. Ici il paraît que l’auteur s’est toujours servi de ces expressions tendres et harmonieuses qu’on trouve dans les églogues de Virgile, dans Tibulle, dans Properce, et même dans quelques endroits de Pétrone, qui respirent la mollesse et la volupté.

Je suis enchanté de ces vers :

Ridet ager, lascivit humus, nova nascitur arbos…
Basia lascivœ jungunt repetita columbœ.

Et, en parlant de l’Amour :

Vulnere qui certo lœdere pectus amat.

Je n’oublierai pas cet endroit où il parle des plaisirs qui fuient avec la jeunesse :

Sic fugit humanœ tempeslas aurea vitæ,
Arguti fugiunt, agmina blanda, joci.

Je citerais trop de vers, si je marquais tous ceux dont j’ai goûté la force et l’énergie.

Mais quoique l’ouvrage soit rempli de feu et de noblesse, je conseillerais plutôt à un homme qui aurait du goût et du talent pour Ja littérature, de les employer à faire des vers français. C’est à ceux qui peuvent cultiver les belles-lettres avec avantage à faire à notre langue l’honneur qu’elle mérite. Plus on a fait provision des richesses de l’antiquité, et plus on est dans l’obligation de les transporter en son pays. Ce n’est pas à ceux qui méprisent Virgile, mais à ceux qui le possèdent, d’écrire en français.

Venons maintenant, mon cher Favières, à votre traduction du Printemps, ou, plutôt, à votre imitation libre de cet ouvrage. Vos expressions sont vives et brillantes, vos images bien frappées ; et, surtout, je vois que vous êtes fidèle à l’harmonie, sans laquelle il n’y a jamais de poésie.

Il faudrait vous rappeler ici trop de vers, si je voulais marquer tous ceux dont j’ai été frappé. Adieu ; je vais dans un pays ou le printemps ne ressemble guère à la description que vous en faites l’un et l’autre. Je pars pour l’Angleterre[2] dans quatre ou cinq jours, et suis bien loin assurément de faire des tragédies.

Frange, miser, calamos, vigilataque prœlia dele.

(Juven,., Sat. I, ep. VII, v. 27.)

J’ai renoncé pour jamais aux vers,

Nunc… versus et caetera ludicra pono.

(Hor,., lib. I, ep. I, v. 10.)

Mais il s’en faut bien que je sois devenu philosophe, comme celui dont je vous cite les vers. Adieu ; je vous aime en vers et en prose, de tout mon cœur, et vous serai attaché toute ma vie.

  1. Favières, conseiller au parlement, était l’auteur du poëme latin intitulé Ver, Carmen pentametrum. La traduction française est attribuée à Querlon. La réponse de Favières à Voltaire se trouve dans le quatorzième volume des Amusements du cœur et de l’esprit. (B.)
  2. C’est-à-dire pour Rouen, d’où furent écrites les cinq premières lettres qui suivent celle-ci Voltaire, voulant publier plus tranquillement l’Histoire de Charles XII, et une nouvelle édition de la Henriade, alla passer quatre ou cinq mois à Rouen et à Canteleu, en laissant croire qu’il était retourné à Londres.(Cl.)