Correspondance de Voltaire/1736/Lettre 600
Mon cher ami, je suis accablé de maladies, d’affaires, de chagrins ; je suis à Paris depuis douze[1] jours, comme dans un exil, et je m’en retourne bien vite.
Où est notre philosophe Formont ? Voici une Alzire pour vous et une pour lui ; je ne savais comment vous l’envoyer.
Vous n’êtes pas gens à qui on ne doive donner que ce qu’on donne au public ; je joins donc à cette Alzire une ode[2] sur laquelle il faut que vous me donniez vos conseils. Avez-vous des procès, mon cher ami ? Hélas ! j’en ai à Paris ; mais je vais vite faire tout ce que je pourrai pour les perdre, et pour m’en retourner.
On m’a assuré que Jore a fait faire à Rouen une édition en trois volumes de mes ouvrages, où les Lettres philosophiques sont insérées : cela est d´autant plus vraisemblable qu’il avait à moi un tome de mes tragédies, qu’il ne m’a jamais rendu, quoiqu’il lui ait été payé ; il lui aura été facile de joindre en peu de temps deux tomes à ce premier. Ce Jore est devenu un scélérat, depuis que votre présence ne le retient plus ; il finira par se faire pendre à Paris, Je fais mettre mes Alzire au coche, plutôt que d’avoir l’embarras d’une contre-signature.
Parve (sed invideo), sine me, liber, ibis ad illum.
Mon cher ami, cette lettre n’est qu’une lettre d´avis ; le cœur n’a pas ici un moment à soi ; les affaires entraînent, on ne vit point. Je vous embrasse avec la plus grande tendresse. Vous voyez votre cher Formont sans doute ; c’est comme si je lui écrivais. Il y a une Alzire dans le paquet pour M. du Bourg-Theroulde. Adieu ; il est bien injuste que Rouen ne soit pas une rue de Paris.
- ↑ Il est probable que l’original portait 21 au lieu de 12, résultat d’une transposition de chiffres. Voltaire était à Paris dès le 16 avril 1736. (Cl.) – Peut-être aussi les deux lettres à Maupertuis (596 et 597), sont-elles datées à tort des 16 et 17, et doivent-elles l’être des 20 et 27 avril.
- ↑ L’Ode sur la Superstition, premier titre de l´Ode sur le Fanatisme.