Correspondance de Voltaire/1736/Lettre 646

La bibliothèque libre.
◄  Lettre 645
Lettre 647  ►

646. — AUX AUTEURS DE LA BIBLIOTHÈQUE FRANÇAISE[1].
À Cirey, ce 20 septembre 1736.

Messieurs, un homme de bien nommé Rousseau a fait imprimer dans votre journal une longue lettre sur mon compte, où, par bonheur pour moi, il n’y a que des calomnies, et, par malheur pour lui, il n’y a point du tout d’esprit. Ce qui fait que cet ouvrage est si mauvais, c’est, messieurs, qu’il est entièrement de lui : Marot, ni Rabelais, ni d’Ouville, ne lui ont rien fourni ; c’est la seconde fois de sa vie qu’il a eu de l’imagination. Il ne réussit pas quand il invente. Son procès avec M. Saurin aurait dû le rendre plus attentif. Mais on a déjà dit de lui que, quoiqu’il travaille beaucoup ses ouvrages, cependant ce n’est pas encore un auteur assez châtié.

Il a été retranché de la société depuis longtemps, et il travaille tous les jours à se retrancher du nombre des poëtes par ses nouveaux vers. À l’égard des faits qu’il avance contre moi, on sait bien que son témoignage n’est plus recevable nulle part ; à l’égard de ses vers, je souhaite aux honnêtes gens qu´il attaque qu’il continue à écrire de ce style. Il vous a fait, messieurs, un fort insipide roman de la manière dont il dit m’avoir connu. Pour moi, je vais vous en faire une petite histoire très-vraie.

Il commence par dire que des dames de sa connaissance le menèrent un jour au collège des jésuites, où j’étais pensionnaire, et qu’il fut curieux de m’y voir, parce que j’y, avais remporté quelques prix. Mais il aurait dû ajouter qu’il me fit cette visite parce que son père avait chaussé le mien pendant vingt ans, et que mon père avait pris soin de le placer chez un procureur, où il eût été à souhaiter pour lui qu’il eût demeuré, mais dont il fut chassé pour avoir désavoué sa naissance. Il pouvait ajouter encore que mon père, tous mes parents, et ceux sous qui j’étudiais, me défendirent alors de le voir, et que telle était sa réputation que, quand un écolier faisait une faute d’un certain genre, on lui disait : « Vous serez un vrai Rousseau. »

Je ne sais pourquoi il dit que ma physionomie lui déplut : c’est apparemment parce que j´ai des cheveux bruns, et que je n’ai pas la bouche de travers.

Il parle ensuite d’une ode que je fis à l’âge de dix-huit ans pour le prix de l’Académie française. Il est vrai que ce fut M. l’abbé du Jarry qui remporta le prix ; je ne crois pas que mon ode fût trop bonne, mais le public ne souscrivit pas au jugement de l’Académie. Je me souviens qu’entre autres fautes assez singulières dont le petit poëme couronné était plein, il y avait ce vers :

Et des pôles brûlants jusqu´aux pôles glacés[2].

Feu M. de Lamotte, très-aimable homme et de beaucoup d’esprit, mais qui ne se piquait pas de science, avait par son crédit fait donner ce prix à l’abbé du Jarry ; et quand on lui reprochait ce jugement[3], et surtout le vers du pôle glacé et du pôle brûlant, il répondait que c’était une affaire de physique qui était du ressort de l’Académie des sciences, et non de l’Académie française ; que d’ailleurs il n’était pas bien sûr qu’il n’y eût point de pôles brûlants, et qu’enfin l’abbé du Jarry était son ami. Je demande pardon de cette petite anecdote littéraire où la jalousie de Rousseau m’a conduit, et je continue ma réponse.

Il est vrai que j’accompagnai, vers l’an 1720, une dame de la cour de France[4] qui allait en Hollande. Rousseau peut dire, tant qu’il lui plaira, que j’allai à la suite de cette dame : un domestique emploie volontiers les termes de son état ; chacun parle son langage. Nous passâmes par Bruxelles ; Rousseau prétend que j’y entendis la messe très-indévotement, et qu’il apprit avec horreur cette indécence de la bouche de M. le comte de Lannoi : car il a cité toujours de grands noms sur des choses importantes. Je pourrais en effet avoir été un peu indévot à la messe. M. le comte de Lannoi dit cependant que « Rousseau est un menteur qui se sert de son nom très-mal à propos pour dire une impertinence ». Je ne parlerai pas ainsi. Il se peut, encore une fois, que j´aie eu des distractions à la messe : j’en suis très-fàché, messieurs. Mais, de bonne foi, est-ce à Rousseau à me le reprocher ? Trouvez-vous qu’il soit bien convenable à l’auteur de tant d’épigrammes licencieuses, à l’auteur des couplets infâmes contre ses bienfaiteurs et ses amis, à l’auteur de la Moisade, etc., de m’accuser d’avoir causé dans une église il y a seize ans ? Le pauvre homme ! Suivons, je vous prie, la petite histoire.

Premièrement, il dit qu´il me présenta chez monsieur le gouverneur des Pays-Bas. La vanité est un peu forte. Il est plus vraisemblable que j’y ai été avec la dame que j’avais l’honneur d’accompagner. Que voulez-vous ? Les hommes remplacent en vanité ce qui leur manque en éducation.

Enfin donc je le vis à Bruxelles. Il assure que je débutai par lui faire lire le poëme de la Henriade, et il me reproche beaucoup, je ne sais sur quel fondement, d’avoir pris dans ce poëme le parti du meilleur des rois et du plus grand homme de l’Europe contre des prêtres qui le calomnièrent, et qui le persécutaient. J’en demeure d’accord : Rousseau sera pour ces derniers, et moi, pour Henri IV.

Il a été fort surpris, dit-il, que j’aie substitué l’amiral de Coligny à Rosny. Notre critique, messieurs, n’est pas savant dans l´histoire : ces petites balourdises arrivent souvent à ceux qui n’ont cultivé que le talent puéril d’arranger des mots. L’amiral de Coligny était le chef d’un parti puissant sous Charles IX : il fut tué lorsique Rosny n’avait que treize ans. Rosny fut depuis ministre et favori d’Henri IV. Comment donc se pourrait-il faire que j’aie retranché de la Henriade ce Rosny pour y substituer l’amiral de Coligny ? Le fait est que j’ai mis Duplessis-Mornai à la place de Rosny. Rousseau ne sait peut-être pas que ce Duplessis-Mornai était un homme de guerre, un savant, un philosophe rigide, tel, en un mot, qu´il le fallait pour le caractère que j’avais à peindre ; mais il faut passer à un simple rimeur d’être un peu ignorant. Venons à des choses plus essentielles.

Vous allez voir, messieurs, qu’on entend quelquefois bien mal le métier qu’on a fait toute sa vie, et vous serez surpris que Rousseau ne sache pas même calomnier. L’origine de sa haine contre moi vient, dit-il, en partie de ce que j’ai parlé de lui de la manière la plus indigne (ce sont ses termes) à M. le duc d’Aremberg. Je ne sais pas ce qu’il entend par une manière indigne. Si j’avais dit qu’il avait été banni de France par arrêt du Parlement, et qu’il faisait de mauvais vers à Bruxelles, j’aurais, je crois, parlé d’une manière très-digne ; mais je n’en parlai point du tout, et pour le confondre sur cette sottise comme sur le reste, voici la lettre que je reçois dans le moment de M. le duc d’Aremberg :

« Enghien, ce 8 septembre 1736.

« Je suis très-indigné, monsieur, d’apprendre que mon nom est cité, dans la Bibliothèque, sur un article qui vous regarde. On me fait parler très-mal à propos et très-faussement, etc. Je suis, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur,

« Le duc d’Aremberg. »

Voyons s’il sera plus heureux dans ses autres accusations. Je lui récitai, dit-il, une épître contre la religion chrétienne. Si c’est la Moïsade dont il veut parler, il sait bien que ce n’est pas moi qui l’ai faite. Il assure qu’à la police de Paris j’ai été appelé en jugement pour cette épître prétendue. Il n’y a qu’à consulter les registres : son nom s’y trouve plusieurs fois, mais le mien n’y a jamais été. Rousseau voudrait bien que j’eusse fait quelque ouvrage contre la religion, mais je ne peux me résoudre à l’imiter en rien.

Il a ouï dire qu’il fallait être hypocrite pour venir à bout de ses ennemis, et je conviens qu’il a cherché cette dernière ressource.

Rousseau, sujet au camouflet,
Fut autrefois chassé, dit-on,
Du théâtre à coups de sifflet,
De Paris à coups de bâton ;
Chez les Germains chacun sait comme
Il s’est garanti du fagot ;
Il a fait enfin le dévot,
Ne pouvant faire l´honnète homme.

Ce n’est pas assez de faire le dévot pour nuire ; il y faut un peu plus d’adresse : je remercie Dieu que Rousseau soit aussi maladroit qu’hypocrite ; sans ce contre-poids, il eût été trop dangereux,

Les prétendus sujets de la prétendue rupture de ce galant homme avec moi sont donc que j’ai eu des distractions à la messe ; que je lui ai récite des vers dans le goût de la Moïsade, et que j’ai parlé de lui en termes peu respectueux à M, le duc d’Aremberg. Eh bien ! messieurs, je vais vous dire les véritables sujets de sa haine ; et je consens, ce qui est bien fort, d’être aussi déshonoré que lui si j’avance un seul mot dont on puisse me démentir.

Il récita à cette dame, que j’avais l’honneur d’accompagner, et à moi, je ne sais quelle allégorie contre le parlement de Paris, sous le nom de Jugement de Pluton : pièce bien ennuyeuse, dans laquelle il vomit des invectives contre le procureur général et contre ses juges, et qui finit par ces vers, autant qu’il m’en souvient :

Et que leur peau sur ces bancs étendue,
À l’avenir consacrant leurs noirceurs,
Serve de siège à tous leurs successeurs.

(Liv. II, allégor. ii.)

Ces derniers vers sont copiés d’après l’épigramme de M. Boindin contre Rousseau, laquelle est connue de tout le monde ; la différence qui se trouve entre l’épigramme et les vers de Rousseau, c’est que l’épigramme est bonne.

Il récita ensuite un ouvrage dont le titre n’est pas la preuve d’un bon esprit ni d’un bon cœur. Ce titre est la Palinodie. Il faut savoir qu’autrefois il avait fait une petite épître à M. le duc de Noailles, alors comte d’Aven. Dans cet ouvrage il disait (liv. Ier, ép. iv) :

Oh ! qu’il chansonne bien !
Serait-ce point Apollon Delphien ?
Venez, voyez, tant a beau le visage,
Doux le regard, et noble le corsage !
C’est il, sans faute.

Cette pièce, écrite toute de ce goût, fut sifflée, comme vous le croyez bien ; cependant M. le duc de Noailles le protégea en le méprisant, et daigna lui donner un emploi. Savez-vous ce qu’il fit dans le même temps ? Il écrivit une lettre sanglante contre son bienfaiteur. Cette lettre parvint jusqu’à M. de Noailles. Je ne dis rien que ce seigneur ne puisse attester, et j’ajoute qu’il poussa la grandeur d’âme jusqu’à oublier l’ingratitude de ce poète.

Rousseau, hors de France, fit son ode de la Palinodie. Il avait raison assurément de désavouer des vers ennuyeux ; mais du moins il eût fallu que la Palinodie eût été meilleure. Malheureusement pour lui, toute la Palinodie consistait à dire du mal de son bienfaiteur. M. le maréchal de Villars, ami de ce seigneur offensé, averti d’ailleurs de l’insolence de Rousseau, en écrivit à M. le prince Eugène, et lui manda en propres mots : « J’espère que vous ferez justice d’un *** qui n’a pas été assez puni en France. » Cette lettre, jointe aux ingratitudes dont Rousseau payait les bienfaits de M, le prince Eugène, lui attira une disgrâce totale auprès de ce prince. Voilà, messieurs, l’origine de tout ce que Rousseau a fait depuis contre moi. Il a cru que c’était moi qui avais fait frapper ce coup ; que c’était moi qui avais averti messieurs les maréchaux de Villars et de Noailles. Cependant il est très-vrai que je ne leur en ai jamais parlé. Il est aisé de le savoir des personnes que le sang et l’amitié attachaient à M, le maréchal de Villars. La lettre avait été écrite à M. le prince Eugène avant même que Rousseau m’eût lu cette mauvaise ode de la Palinodie, et quand il me la lut, je me contentai de lui dire que je voyais bien que son but n’était pas d’avoir des amis.

J’avoue que je lui dis encore, avec une franchise que j’ai eue toute ma vie, que ses nouveaux ouvrages ne me plaisaient pas, et qu’il passerait seulement pour avoir perdu son talent et conservé son venin. Le public a justifié ma prédiction, et Rousseau me hait d’autant plus que je lui ai dit une vérité qui se confirme tous les jours.

C’était assez qu’il m’eût flatté quelques jours pour qu’il fît des vers contre moi : il en fit donc, et même de très-plats. Il est vrai qu’enfin, dans une Èpître contre la Calomnie, composée il y a trois ans, je n’ai pu m’empêcher, après avoir montré toute l’énormité de ce crime, de parler de celui qui en est si coupable. Vous avez vu ce que j’en ai dit.

Ce vieux rimeur, couvert d´ignominie, etc.

Je n’ai été certainement dans ces vers que l’interprète du public ; je n’ai fait que suivre l’exemple de M. de Lamotte, le plus modeste de tous les hommes, qui avait dit de Rousseau :

Connais-tu ce flatteur perfide[5],
Cette âme jalouse où préside
La Calomnie au ris malin ;
Ce cœur dont la timide Audace

En secret sur ceux qu’il embrasse
Cherche à distiller son venin ;

Lui dont les larcins satiriques[6],
Craints des lecteurs les plus cyniques,
Ont mis tant d’horreurs sous nos yeux ?
Cet infâme, ce fourbe insigne.
Pour moi n’est qu’un esclave indigne.
Fût-il sorti du sang des dieux.

Qui croirait, messieurs, que Rousseau ose se plaindre aujourd’hui que ce soit lui qui soit le calomnié ? Permettez-moi de vous faire souvenir ici d’un trait de l’ancienne comédie italienne. Arlequin ayant volé une maison, et ne trouvant pas ensuite tout le compte des effets qu’il avait pris, criait au voleur de toute sa force. Rousseau suppose premièrement que mon Épître sur la Calomnie est adressée à la respectable fille de M. le baron de Breteuil, un de ses premiers maîtres. Mais qui lui a dit qu’elle ne l’est pas à une des filles de M. le duc de Noailles, ou de M. Rouillé, ou de M. le maréchal de Tallard ? Car a-t-il eu un maître qu’il n’ait payé d’ingratitude, et qu’il n’ait forcé à le chasser ? Je veux que cette épître soit adressée à la fille de M. le baron de Breteuil, mariée à un homme de la plus grande naissance de l’Europe, et illustre par l’honneur que les beaux-arts reçoivent de son génie et de son savoir, qu’elle veut en vain cacher ; cela ne servira qu’à faire voir combien Rousseau est hardi dans le crime et impudent dans le mensonge. Il crie qu’on le calomnie, qu’il n’a jamais fait des vers contre feu M. de Breteuil. Voulez-vous savoir, messieurs, de qui je tiens la vérité qu’il combat si impudemment ? De la propre personne à qui il a eu la folie de l’avouer, et de cette respectable dame, la fille même de M. de Breteuil, qui le sait comme moi, et sous les yeux de laquelle j’ai l’honneur d’écrire une vérité d’ailleurs si connue. Il a beau dire qu’il a encore des lettres de M. le baron de Breteuil, il a beau avoir adressé à ce seigneur une très-mauvaise épître en vers ; qu’est-ce que cela prouve ? Que M. le baron de Breteuil était indulgent, et que son domestique pousse l’impudence au comble. Est-ce donc la seule fois qu’il a écrit pour et contre ses bienfaiteurs ? N’a-t-il pas appelé M. de Francine un homme divin, après avoir fait contre lui l’indigne satire de la Francinade ? Il avait fait cette satire, parce que tous ses opéras sifflés avaient été mis au rebut par M. de Francine ; et il l’appela depuis homme divin, parce que, dans une quête que Mme de Bouzoles eut la bonté de faire pour Rousseau, lorsqu’il était en Suisse, M. de Francine eut la générosité de donner vingt louis. Je devrais donc avoir quelque petite part à cette épithète de divin, un cinquième, de compte fait : car j’avais donné quatre louis pour mon aumône à Rousseau.

En vérité, il a grand tort de me vouloir du mal, car, outre la liaison qui était entre mon père et le sien, j’ai actuellement un valet de chambre[7] qui est son proche parent, et qui est très-honnête homme. Ce pauvre garçon me demande tous les jours pardon des mauvais vers que fait son parent.

Est-ce ma faute, après tout, si Rousseau a eu autrefois des coups de bâton du sieur Pécourt, dans la rue Cassette, pour avoir fait et avoué ces couplets qui sont mentionnés dans son procès criminel ?

Que le bourreau par son valet
Fasse un jour serrer le sifilet
De Berlin et de sa séquelle ;
Que Pécourt, qui fait le ballet,
Ait le fouet au pied de l’échelle, etc.

Est-ce ma faute, s’il se plaignit d’avoir reçu cent coups de canne de M. de La Faye ; s’il s’accommoda avec lui, par l’entreprise de M. de Lacontade, pour cinquante louis qu’il n’eut point ; s’il calomnia M. Saurin ; s’il fut banni par arrêt à perpétuité ; s’il est en horreur à tout le monde ; si enfin (ce qui le fâche le plus) il a rimé longuement des fadaises ennuyeuses ; s’il a fait les Aïeux chimériques, le Café, la Ceinture magique, etc. ? Je ne suis pas responsable de tout cela.

Il s’est associé, pour rendre sa cause meilleure, avec l’abbé Desfontaines, auteur d’un ouvrage périodique qui vous est connu ; et cet abbé envoie de temps en temps en Hollande de petits libelles contre moi.

Il est bon que vous sachiez, messieurs, que cet abbé est un homme que j’ai, en 1724, tiré de Bicêtre, où il était renfermé pour le reste de ses jours. C’est un fait public. J’ai encore ses lettres par lesquelles il avoue qu’il me doit l’honneur et la vie. Il fut depuis mon traducteur. J’avais écrit en anglais un Essai sur l´Épopèe' ; il le mit en français. Sa traduction a été imprimée à Paris. Il est vrai qu’il y avait autant de contre-sens que de lignes.

Il y disait que les Portugais avaient découvert l’Amérique. Il traduit les gâteaux mangès par les Troyens par ces mots : faim dévorante de Cacus. Le mot anglais cake, qui signifie gâteau, fut pris par lui pour Cacus, et les Troyens pour des vaches. Je corrigeai ses fautes, et je fis imprimer sa traduction à la suite de la Henriade, en attendant que j’eusse le loisir de faire mon 'Essai sur l´Épopèe en français : car j’avais écrit dans le goût de la langue anglaise, qui est très-différent du nôtre. Enfin, quand j’eus achevé mon ouvrage, je le mis à la suite de ma Henriade en France, L’abbé Desfontaines ne me pardonna point d’avoir usé de mon bien. Il s’avisa, depuis ce temps-là, de vouloir décrier la Henriade et moi. Je ne lui répondrai pas, et je ne décrierai certainement pas ses vers. Il en a fait un gros volume[8] ; mais personne n’en sait rien : j’en ignore moi-même le titre. Pour sa personne, elle est un peu plus connue.

Enfin, messieurs, voilà les honnêtes gens que j’ai pour ennemis : ainsi, quand vous verrez quelques mauvais vers contre moi, dites hardiment qu’ils sont de Rousseau ; quand vous verrez de mauvaises critiques en prose, ce sera de l’abbé Desfontaines.

J’ai l’honneur d’être, etc.

  1. Une édition de la Mort de César, intitulée seconde édition, et donnée à Amsterdam en 1736, était terminée par une réimpression de l´Épître sur la Calomnie, et précédée d’une Préface des éditeurs, qu’on peut voir dans le tome III. Un passage de cette préface, supprimé depuis longtemps et qu’il était important de rétablir, fut l’occasion de la Lettre de M. Rousseau à M. ***, datée du 22 mai 1736, et imprimée dans la Bibliothèque française, tome XXIII, pages 138-154. C’est en réponse à cette Lettre, dont il a déjà été question (voyez n° 639), que Voltaire écrivit sa lettre du 20 septembre, qui a été insérée dans la Bibliothèque française, tome XXIV. pages 152-166.
  2. Voyez tome XXII, pages 7 et 8.
  3. Voyez, tome X, page 470, dans les Poésies mêlées, la pièce qui commence par ce vers :
    Lamotte, présidant aux prix.
  4. Mme de Rupelmonde, à qui Voltaire adressa la pièce intitulée Pour et Contre, plus connue sous le titre de Épître à Uranie. Voyez tome IX.
  5. Strophes 5 et 6 de l’ode de Lamotte intitulée Mérite personnel.
  6. Au lieu de satiriques, le texte de Lamotte porte marotiques.
  7. C’était Céran, qui faisait aussi les fonctions de secrétaire ou copiste.
  8. Poésies sacrées ; voyez la note tome XXII, page 380.