Correspondance de Voltaire/1736/Lettre 681
Eh bien ! quand on vous envoie des épîtres sur Newton, voilà donc comme vous traitez les gens ! Je m’imagine que si vous ne répondez point, c’est que vous étudiez à présent Newton, et que la première lettre que je recevrai de vous sera un traité sur le carré des distances et sur les forces centripètes. En attendant, vous devriez bien vous égayer à m’envoyer la dispute[1] d’Orpbée-Rameau avec Euclide-Castel, On dit qu’Orphée a battu Euclide. Je crois en effet notre musicien bien fort sur son terrain.
On m’a envoyé l’Enfant prodigue tel qu’on le joue. Vraiment, j’ai bien raison de le désavouer, et je vous prie de jurer pour moi plus que jamais. On l’avait estropié chez les reviseurs, successeurs de l’abbé Cherrier[2], mais estropié au point qu’il ne pouvait marcher. Les deux frères charmants[3] que vous connaissez lui ont vite donné des jambes de bois. Mon ami, donnez-vous la peine de le relire entre les mains de notre Berger, qui va le faire imprimer, et vous m’en direz des nouvelles.
Eh bien, bourreau ! eh bien, marmotte en vie, paresseux Thieriot, vous laissez faire l’édition de Paris et l’édition hollandaise de la Henriade sans y mettre un petit mot, sans corriger un vers ! Ah ! quel homme ! quel homme ! Embrassez pour moi l’imagination de Sauveau ; si vous rencontrez Colbert-Melon et Varron-Dubos, bien des compliments. Menez-vous toujours une vie charmante chez Pollion ? Ètes-vous, après moi, un des plus heureux mortels de ce monde ? Digérez-vous ?
Savez-vous que le duc d’Aremberg a chassé Rousseau, pour ce beau libelle imprimé contre moi ? Voilà une assez bonne réponse : c’est une terrible philippique. Je dois avoir pitié de mes ennemis. Rousseau est chassé partout, Desfontaines est détesté, et vit seul comme un lézard ; moi, je vis au milieu des délices ; j’en suis honteux. Vale. Écrivez donc, loir, marmotte ; dégourdissez votre indifférence.
L’ambassadeur Falkener vous fait mille compliments. Adieu, mon aimable et paresseux et vieil ami ; adieu. Bibe, vale, scribe.