Correspondance de Voltaire/1736/Lettre 686

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Correspondance : année 1736GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 171-172).
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686. — À M. THIERIOT.
Le 24 novembre.

On m’a mandé que le Mondain avait été trouvé chez M. de Luçon[1], et que le président Dupuy en avait distribué beaucoup de copies. On m’en a envoyé une toute défigurée. Il est triste de passer pour un hétérodoxe, et de se voir encore tronqué, estropié, mutilé comme un auteur ancien. Je trouve qu’on a grande raison de s’emporter contre l’auteur dangereux de cet abominable ouvrage, dans lequel on ose dire qu’Adam ne se faisait point la barbe, que ses ongles étaient un peu trop longs, et que son teint était hâlé : cela mènerait tout droit à penser qu’il n’y avait ni ciseaux, ni rasoir, ni savonnette dans le paradis terrestre, ce qui serait une hérésie aussi criante qu’il y en ait. De plus, on suppose, dans ce pernicieux libelle, qu’Adam caressait sa femme dans le paradis. Or, dans les anecdotes de la vie d’Adam, trouvées dans les archives de l’arche, sur le mont Ararat, par saint Cyprien, il est dit expressément que le bonhomme ne b…ait point, et qu’il ne b…da qu’après avoir été chassé : et de là vient, à ce que disent tous les rabbins, le mot b…er de misère. Ut ut est, la hauteur et la bêtise avec laquelle un certain homme[2] a parlé à un de nos amis m’aurait donné la plus extrême indignation, si elle ne m’avait pas fait pouffer de rire.

Il n’est pas encore sûr que j’aille en Prusse. Recommandez à votre frère d’envoyer par le coche le paquet du prince philosophe ; demandez si ce prince a chez lui des comédiens français ; en ce cas, nous lui enverrions le Prodigue pour l’amuser. Je suppose que le ministère trouve très-bon ce petit commerce littéraire.

J’ai envoyé à Berlin, dans ce paquet (dont point de nouvelles), le Mondain, l´Ode à Émilie[3], la Newtonique[4], une Lettre sur Locke[5], afin de lui faire ma cour in omni genere.

De qui est donc ce beau poème didactique ? De M. de La Chaussée sans doute. Il n’y a que lui dont j’attende ce chef-d’œuvre. Mandez-moi si j’ai deviné.

Voici une copie plus exacte de la Newtonique, vous pouvez la donner ; mais il faut commencer par des gens un peu philosophes et poëtes :

· · · · · · · · · · · · · · · Pauci quos æquus amavit
Jupiter
· · · · · · · · · · · · · · ·

(Ænéid., liv. VI, v. 129.)

Mon copiste[6], qui n’est ni poëte ni philosophe, avait mis, pour la période de vingt-six mille ans :

Six cents siècles entiers par delà vingt mille ans ;

ce qui faisait quatre-vingt mille ans, au lieu de vingt-six mille : bagatelle.

Mille compliments à vous, à votre Parnasse. Si vous voyez l’aimable philosophe Mairan, dites-lui qu’il songe à moi, qu’il vous donne sa lettre. Dites que je vais à Berlin, N’écrivez plus jamais qu’à Mme Faverolles, à Bar-sur-Auhe : retenez cela. Réponse sur tous les articles. Aimez-moi ; adieu, Mersenne.

  1. Voyez la note de la lettre 27.
  2. Sans doute le garde des sceaux Chauvelin, exilé à Bourges le 20 février 1737. (Cl.)
  3. L’ode vii sur le Fanatisme ; voyez tome VIII, page 427.
  4. La Newtonique est l’épitre en vers à Mme  du Châtelet, dont nous avons déjà parlé dans une note sur la lettre 637.
  5. C’est la lettre 530.
  6. Céran, cité à la fin de la lettre 454.