Correspondance de Voltaire/1737/Lettre 728

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Correspondance : année 1737GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 227-230).
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728. — À M. L’ABBÉ MOUSSINOT[1].
Ce 18 mars 1737.

Mon cher abbé, M. le marquis du Châtelet vous rendra, ou vous fera remettre celle-ci. J’ai de très-fortes raisons pour vous réitérer encore la prière de ne parler de mes affaires à personne, et surtout de dire que je suis en Angleterre.

J’ai encore quelques contrats, que M. le marquis du Châtelet vous remettra. Il y en a sur M. de Lézeau, de Rouen, sur M. le prince de Guise, sur M. de Goesbriant, sur M. le marquis d’Estaing. Vous aurez donc la bonté, mon cher ami, de joindre tout cela au reste de mes affaires.

Il y a trois ans que M. de Lézeau ne m’a payé. Il est riche ; il a des terres. M. de Goesbriant commence à être à son aise ; il me doit cinq ans ; il peut me satisfaire. On lui a déjà fait une sommation, uniquement pour empêcher la prescription. Le prince de Guise me doit trois ans, sur quoi il n’a payé que treize cent trente francs ;

M. de Villars me doit une année au 1er janvier dernier ;

M. d’Auneuil, de même ;

M. d’Estaing, de même ; mais je crois que M. d’Estaing vient de payer à un de mes créanciers ;

M. de Richelieu doit une année au 1er avril prochain ;

Arouet a payé l’année 1736 ;

On me doit ma rente viagère de 1736, échue en janvier dernier ; mais il faut un certificat, et je ne vous l’enverrai pas de sitôt.

Tout ceci bien établi, voici ce que nous avons à faire : je vous prie d’écrire une lettre circulaire sous le nom de votre frère à tous les créanciers[2] conçue à peu près en ces termes :

M. de Voltaire, voyageant dans les pays étrangers, a un besoin extrême de la rente que vous lui devez. Il espère de votre générosité et de votre amitié que vous voudrez bien le payer. J’attends vos ordres, etc.

Moussinot,
Rue de la Lanterne, derrière Saint-Merry.

M. de Richelieu n’aura point part à cette sommation, l’année n’étant pas encore échue ; mais, dès qu’elle le sera, il faut écrire à son intendant, et établir un payement annuel, de janvier en janvier. Il faut lui proposer de payer les trois quartiers depuis avril 1736 jusqu’à janvier 1737, auquel échoit le dixième, afin que dorénavant, à compter du 1er janvier 1737, je sois payé sans retenue de dixième, puisque ce dixième a été aboli au 1er janvier 1737.

Après deux lettres écrites à chaque créancier, à un mois l’une de l’autre, il faudra faire des commandements aux fermiers des terres sur lesquelles mes rentes sont déléguées. Je vous en enverrai la liste, et, pour le reste de ma vie, ce sera à ces fermiers que j’aurai affaire, le tout avec un mot d’excuse aux maîtres, de la part de M. Moussinot, votre frère.

À l’égard de la grande affaire de Bouillé-Ménard, j’attends de vos nouvelles ; mais voici quel est mon plan.

Je suis dans une situation à avoir toujours besoin d’une somme considérable que je puisse trouver sous ma main. Ainsi il y aurait à moi beaucoup d’imprudence à mettre dans le commerce de Pinga une partie forte qui serait trop longtemps à rentrer. Je vous prie même de n’y mettre que quatre ou cinq mille francs pour vous amuser, et surtout que cela soit, comme le reste, dans un profond secret. J’attends à Bar-le-Duc des nouvelles de M. Dartigny.

1° Sur la valeur des ducats. J’en ai donné trois cent vingt à M. du Châltelet, avec quelque autre argent, pour l’échanger contre des espèces nouvelles courantes. Il prendra sur cela votre avis, et celui de M. Bronod ;

2° Sur mon pastel et sur les copies ;

3° Sur l’envoi que doit faire Prault à Bar-sur-Aube pour Mme  la marquise du Châtelet ;

4° Sur les envois que je vous ai prié de faire par Bar-sur-Aube à Cirey pour Mme  Serrand[3] avec une lettre d’avis à M. Dartigny à Bar-le-Duc ;

5° Sur la réponse que j’attends du Père Castel, laquelle il doit vous adresser, car je suppose que vous lui avez envoyé votre adresse ;

6° Sur les dix-huit livres à donner au petit d’Arnaud, avec deux Henriade ;

7° J’ajoute que je vous prie de m’envoyer le mémoire des livres dépareillés que vous avez à moi, afin que je prenne le parti, ou de vous envoyer les volumes qui vous manquent, ou de faire venir ceux qui nous restent ;

8° Je voudrais savoir des nouvelles du cours des actions ;

9° Votre agent de change peut vous informer de l’emploi le plus sûr de l’argent. Je crois que les billets des fermiers généraux sont à six pour cent, et que c’est ce qu’il y a de meilleur, et qu’on peut retirer son fonds tous les six mois ;

10° Voulez-vous bien à votre loisir m’envoyer un petit état de ce qui me reste d’effets, soit chez vous, soit chez Pinga, ou ailleurs, afin que je sache de quoi je peux disposer.

Je m’aperçois que je vous donne plus d’embarras que tout le chapitre, mais aussi je ne serai pas si ingrat.

Je vous embrasse. S’il y a quelques nouvelles, écrivez toujours à Dartigny, négociant, à Bar-le-Duc où j’attends vos lettres.

11° Avez-vous reçu des dividendes de mes actions ?

Ce 18.

Je reçois dans le moment votre lettre du 11 mars, et j’y réponds.

1° Pour les ducats, j’en trouve à Bar-le-Duc dix livres dix sous ; ainsi je les donnerai à Bar-le-Duc ;

2° Je consens et je vous prie que vous receviez tout ce que vous pourrez sur Bouillé-Ménard, en attendant le reste, car, en fait d’argent, il faut toujours recevoir. Vous donnerez votre quittance, sans préjudice des intérêts échus et à échoir.

Je vous supplie de ne mettre que quatre à cinq mille francs en tableaux, de mettre une partie de l’argent comptant en billets des fermes ou équivalent, et de garder le reste pour acheter des actions, qui, je crois, baisseront dans peu ;

3° Vous avez à moi quatre actions achetées à trois dividendes. Mandez-moi si vous avez reçu les dividendes des six premiers mois de cette année, et vendez sur-le-champ les quatre actions, en cas qu’elles soient à peu près à deux mille cent quarante ou trente ;

4° Du prix de ces actions vendues, vous aurez le plaisir d’acheter pour quatre mille livres chez Mme  de Verrue ;

5° Vous mettrez le restant des actions avec les trois mille six cent quatre-vingt-dix (sic) de MM. de Villars et d’Aunouil, que vous garderez ;

6° Vous aurez la bonté de donner cent louis d’or à M. le marquis du Châtelet, qui me les rapportera ;

7° Je ne sais pas si M. le président d’Auneuil a payé les six mois antérieurs ; mais cela est sûrement, puisqu’il le dit. Au reste, M. Meny doit le savoir positivement. Demoulin doit le savoir aussi ;

8° Je suis très-aise que Berger me croie en Angleterre.. J’y suis pour tout le monde ;

9° Il faut absolument écrire une lettre à M. le marquis de Lézeau à Rouen, et une autre à M. le prince de Guise. Cela ne coûte rien, et avance les affaires ;

10° Voici ma quittance, pour monsieur votre frère, de mes deux années de rente sur MM. de Villars et d’Auneuil ;

11° Je vous supplie d’engager mademoiselle votre sœur à m’acheter douze livres de poudre fine, et un pot de bonne pommade à la fleur d’orange ;

12° Le paquet du Père Castel courra la prétentaine ;

13° Je vous aime de tout mon cœur ;

14° J’ai encore à vous dire qu’il vous viendra des lettres à l’adresse de M. Dartigny chez M. Dubreuil, négociant, cloître Saint-Merry, à Paris. Vous aurez la bonté de les envoyer à Bar-le-duc ;

15° Voici trois lettres que je vous prie de faire mettre à la poste.

  1. Édition Courtat.
  2. Non : à tous les débiteurs. (C.)
  3. Mme  Serrand ou Céran, femme du valet de chambre copiste de Voltaire, de 1734 à 1739. (Cl.)