Correspondance de Voltaire/1738/Lettre 826

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Correspondance : année 1738GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 409-411).
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826. — À M. THIERIOT.
Cirey, ce 7 février.

Je vous envoie, mon cher ami, une lettre pour le prince royal, en réponse à celle que vous m’avez dépêchée par l’autre voie. Sa lettre contenait une très-belle émeraude accompagnée de diamants brillants, et je ne lui envoie que des paroles. Soyez sûr, mon cher Thieriot, que mes remerciements pour lui seront bien plus tendres et bien plus énergiques quand il aura fait pour vous ce que vous méritez et ce que j’attends. Ne soyez point du tout en peine de la façon dont je m’exprime sur votre compte, quand je lui parle de vous ; je ne lui écris jamais rien qui vous regarde, qu’à l’occasion des lettres qu’il peut faire passer par vos mains, et que je le prie de vous confier. Je suis bien loin de paraître soupçonner qu’il soit seulement possible qu’il vous ait donné le moindre sujet d’être mécontent. Quand je serais capable de faire cette balourdise, l’amitié m’en empêcherait bien. Elle est toujours éclairée quand elle est si vraie et si tendre. Continuez donc à le servir dans le commerce aimable de littérature dont vous êtes chargé, et soyez sûr, encore une fois, qu’il vous dira un jour : « Euge, serve bone et fidelis, quia super pauca fuisti fidelis[1], etc. »

Vous vous intéressez à mes nièces ; vous savez sans doute ce que c’est que M. de La Rochemondière[2], qui veut de notre aînée. Je le crois homme de mérite, puisqu’il cherche à vivre avec quelqu’un qui en a. Si je peux faciliter ce mariage, en assurant vingt-cinq mille livres, je suis tout prêt ; et, s’il en veut trente, j’en assurerai trente ; mais, pour de l’argent comptant, il faut qu’il soit assez philosophe pour se contenter du sien, et de vingt mille écus que ma nièce lui apportera. Je me suis cru, en dernier lieu, dans la nécessité de prêter tout ce dont je pouvais disposer. Le prêt est très-assuré ; le temps du payement ne l’est pas ; ainsi je ne peux m’engager à rien donner actuellement par un contrat. Mais ma nièce doit regarder mes sentiments pour elle comme quelque chose d’aussi sûr qu’un contrat par devant notaire. J’aurais bien mauvaise opinion de celui qui la recherche, si un présent de noce de plus ou de moins (qu’il doit laisser à ma discrétion) pouvait empêcher le mariage. C’est une chose que je ne peux soupçonner. Je ferai à peu près pour la cadette ce que je fais pour l’ainée. Leur frère[3], correcteur des comptes, est bien pourvu. Le petit frère[4] sera, quand il voudra, officier dans le régiment de M. du Châtelet. Voilà toute la nichée établie d’un trait dé plume. Votre cœur charmant, et qui s’intéresse si tendrement à ses amis, veut de ces détails. C’est un tribut que je lui paye.

Mandez-moi si ce que l’on publie touchant la cuirasse de François Ier est vrai. Je ne sais de qui est Maximien[5]. On la dit de l’abbé Le Blanc. Mais quel qu’en soit l’auteur, je serais très-fàché qu’on m’en donnât la gloire, si elle est bonne ; et, en cas qu’elle ne vaille rien, je rends les sifflets à qui ils appartiennent.

J’achèterai sur votre parole le livre[6] de l’abbé Banier ; je compte n’y point trouver que Cham est l’Ammon des Égyptiens, que Loth est l’Éricthée, qu’Hercule est copié de Samson, que Baucis et Philémon sont imités d’Abraham et de Sara. Je ne sais quel académicien des belles-lettres avait découvert que les patriarches étaient les inventeurs du zodiaque ; que Rebecca était la Vierge ; Ésaü et Jacob, les Gémeaux. Il est bon d’avoir quelques dissertations pareilles dans son cabinet, pour mettre à côté du poëme de la Madelène[7] ; mais il n’en faut pas trop.

Empêchez donc M. d’Argental d’aller à Saint-Domingue[8]. Un homme de probité, un homme aimable comme lui, doit rester dans ce monde.

  1. Matthieu, XXV, 21, 23.
  2. Le Royer de La Rochemondière était conseiller auditeur à la chambre des comptes. (Cl.)
  3. Mort en juin 1740 ; voyez la lettre à d’Argental du 24 juin 1740.
  4. Alexandre-Jean Mignot, alors dans sa treizième année. Il fut effectivement militaire avant d’être abbé.
  5. De La Chaussée. Cette tragédie, jouée le 25 février 1738, eut vingt-deux représentations de suite.
  6. La Mythologie et les Fables expliquées par l’histoire, dont le premier volume venait de paraître.
  7. Poëme du Père Pierre de Saint-Louis. Voyez la note, tome XIX, page 393.
  8. D’Argental venait d’être nommé intendant de Saint-Domingue ; mais il finit, à la sollicitation de Voltaire et de ses amis, par refuser de si lointaines fonctions.