Correspondance de Voltaire/1738/Lettre 864
Je fais mon très-Humble compliment à l’honnête homme, quel qu’il soit, qui a fait cette jolie comédie du Gascon de La Fontaine, dont on m’a dit tant de bien.
Puisque vous êtes coadjuteur de. M. d’Argental, dans le pénible emploi de mon ange gardien, voici de quoi faire usage de vos bontés. Je vous envoie, ange gardien charmant, une petite addition à un mémoire que je suis obligé de publier au sujet des Éléments de Newton, débités trop précipitamment, etc. Cette petite addition vous mettra au fait. Vous connaissez mon caractère, vous savez combien je suis vrai.
J’ai poussé la vertu jusques à l’imprudence[1].
Autre tracasserie : des Épîtres nouvelles, dont je ne veux certainement pas être l’auteur, des imputations que vous savez que je ne mérite pas, un vers qu’on applique à la fille[2] d’un ministre ! Je suis au désespoir ! J’ai mille obligations à ce ministre. Il y a vingt-cinq ans que je suis attaché à la mère de la personne à qui l’on ose faire cette application malheureuse. J’aime personnellement cette personne ; son mari, que je pleure encore, est mort dans mes bras ; par quelle rage, par quelle démence aurais-je pu l’offenser ? Sur quoi fonde-t-on cette interprétation si maligne ? A-t-elle jamais fait des couplets contre quelqu’un ? Si on persiste à répandre un venin si affreux sur des choses si innocentes, il faut renoncer aux vers, à la prose, à la vie.
J’ai fait la valeur de quatre nouveaux actes à Mérope, j’y travaille encore : voilà pourquoi je ne l’ai point envoyée à Mme de Richelieu. Si vous la voyez, dites-lui à l’oreille un mot de réponse. Je me recommande à Raphaël, lorsque Gabriel s’en va au diable. Mme du Châtelet, qui vous aime infiniment, vous fait les plus tendres compliments. Je vous suis attaché comme à monsieur votre frère ; que puis-je dire de mieux ? Adieu, Castor et Pollux, mea sidéra, qui n’habiterez bientôt plus le même hémisphère.
Ordonnez ce qu’il faut faire pour réparer le malheur de cette horrible application. J’écris à Prault de tout supprimer ; j’écris à monsieur votre frère en conséquence. Je vous demande en grâce le secret sur les Épîtres que je désavoue, et la plus vive protection sur l’abus qu’on en fait. Mme du Châtelet vous fait les plus tendres compliments, et partage ma reconnaissance. Vous devriez bien nous faire avoir le Fat puni[3] ; on dit qu’il est charmant.