Correspondance de Voltaire/1738/Lettre 899
Je serais fort aise que vous fussiez auprès de M. Pallu, et je crois que cette place vaudrait mieux que la demi-place que vous avez. Un intendant est plus utile qu’un prince[1]. Je perdrais un aimable correspondant à Paris ; mais j’aime mieux votre fortune que des nouvelles.
Mme du Châtelet ne peut s’avilir en souffrant qu’on imprime un écrit qu’elle a daigné composer, qui honore son sexe et l’Académie, et qui fait peut-être honte aux juges qui ne lui ont pas donné le prix.
Je me donnerai bien de garde de demander à aucun ministre la communication des recueils dont vous me parlez. Je ne leur demande jamais rien ; mais j’aurais été fort aise que mon ami, en lisant eût remarqué quelques faits singuliers et intéressants, s’il y en a, et m’en eût fait part. C’est là ce qui est très-aisé, et ce dont je vous prie encore.
Vous n’envoyez jamais les nouveautés. Nous n’en avons pas un extrême besoin, mais elles amuseraient un moment ; et c’est beaucoup, me semble, de plaire un moment à la divinité de Cirey.
Rousseau m’a envoyé l’ode apoplectique dont vous me faites mention. Il m’a fait dire que c’était par humilité chrétienne ; qu’il m’avait toujours estimé, et que j’aurais été son ami si j’avais voulu, etc. Je lui ai fait dire qu’il y avait en effet de l’humilité à avoir composé cette ode, et beaucoup à me l’envoyer ; que, si c’était de l’humilité chrétienne[2], je n’en savais rien, que je ne m’y connaissais pas, mais que je me connaissais fort en probité ; qu’il fallait être juste avant d’être humble ; que, puisqu’il m’estimait, il n’avait pas dû me calomnier, et que, puisqu’il m’avait calomnié, il devait se rétracter, et que je ne pouvais pardonner qu’à ce prix. Voilà mes sentiments, qui valent bien son ode.
Je n’ai jamais eu la vanité d’être gravé ; mais puisque Odieuvre et les autres ont défiguré l’ouvrage de Latour, il y faut remédier. La planche doit être in-8°, parce que telle est la forme des livres où l’on imprime mes rêveries. L’abbé Moussinot s’était chargé d’un nouveau graveur, je lui écrirai ; je connais le mérite de celui que l’on propose[3]. Un grand cabinet de physique et quelques achats de chevaux m’ont un peu épuisé, et m’ont rendu indigne de la pierre qui représente Newton. Je me contente de ses ouvrages pour une pistole. J’aimerais mieux, il est vrai, acheter cette tête que de faire graver la mienne, et je suis honteux de la préférence que je me donne ; mais on m’y force. Mes amis, qui admirent Newton, mais qui m’aiment, veulent m’avoir ; ayez donc la bonté d’aller trouver M. Barier avec M. de Latour. Je m’en rapporte à lui et à vous. Vous cachèterez, s’il vous plaît, vos lettres avec mon visage. Il faut que la pierre soit un peu plus grande qu’à l’ordinaire, mais moindre que ce Newton, qui est une espèce de médaillon. On ne veut point envoyer mon portrait en pastel ; mais M. de Latour en a un double, il n’y a qu’à y faire mettre une bordure et une glace. Je demande à M. l’abbé Moussinot qu’il en fasse les frais. Adieu, mon cher ami ; je vous embrasse.
- ↑ Berger était secrétaire du prince de Carignan.
- ↑ Voyez la lettre 885.
- ↑ L’abbé Moussinot avait choisi JM. Ferrard pour graver le portrait dont il s’agit, et qui probablement devait être mis dans l’édition in-8o qu’on faisait on Hollande des Œuvres de Voltaire. Il est assez douteux que le nouveau graveur qu’on proposait à Voltaire ait été Balechou, car le beau portrait gravé par ce dernier d’après Latour n’a paru que dix ans après, avec l’édition de Dresde in-8o, publiée par Walther, en 1748. Cet habile artiste l’a regravé en médaillon avec de nouveaux ornements, d’après Liotard, pour l’édition in-8o de Cramer, en 1756. (Note de Decroix.)