Correspondance de Voltaire/1738/Lettre 985

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Correspondance de Voltaire/1738
Correspondance : année 1738GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 70-71).
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985. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Cirey.

Mon aimable ange gardien, si j’avais eu quelque chose de bon à dire, j’aurais écrit à MM. d’Ussé ; mais écrire pour dire : J’ai reçu votre lettre, et j’ai l’honneur d’être, et des compliments, et du verbiage ; ce n’est pas la peine.

Je ne saurais écrire en prose quand je ne suis pas animé par quelque dispute, quelque fait à éclaircir, quelque critique, etc. ; j’aime mieux cent fois écrire en vers ; cela est beaucoup plus aisé, comme vous le sentez bien. Voici donc des vers que je leur griffonne ; qu’ils les lisent, mais qu’ils les brûlent.

Venons à l’Épître sur la preuve de l’existence de Dieu par le plaisir[1] ! Ne pourrait-on pas y faire une sauce, pour faire avaler le tout aux dévots ?

Il est très-vrai que le plaisir a quelque chose de divin, philosophiquement parlant ; mais, théologiquement parlant, il sera divin d’y renoncer. Avec ce correctif, on pourrait faire passer l’épître, car tout passe. J’ai corrigé encore beaucoup les autres. Un petit mot, s’il vous plaît, sur la dernière, sur l’aventure de la Chine[2]. J’aime vos critiques ; elles sont fines, elles sont justes, elles m’encouragent ; poursuivez.

Je ne crois avoir fait qu’une action de bon chrétien, et non un bon ouvrage, dans ce que vous savez[3] et, comme il faut que les bonnes œuvres soient secrètes, je vous prie de recommander à Lamare le plus profond secret. D’ailleurs, qu’il fasse tout ce que vous lui prescrirez : c’est ainsi que j’en userais, si j’étais à Paris. Mme  du Châtelet fait mille compliments à l’ange gardien, et à cet autre ange, Mme  d’Argental.

Ce Blaise, c’est, ne vous en déplaise, Blaise Pascal[4] ; mais il faudrait un autre nom. Je vous prie d’engager M. d’Argenson à donner des ordres positifs pour que mes ouvrages n’entrent point en France. Je crains toujours qu’on y ait glissé quelque chose qui troublerait, je ne dis pas mon repos, mais celui d’une personne que je préfère à moi, comme de raison.

  1. Le cinquième Discours en vers.
  2. Voyez le vers 41 du sixième Discours.
  3. La comédie de l’Envieux, citée plus haut, dans la lettre n° 975.
  4. Pascal est nommé dans le vers 7 du sixième Discours.