Correspondance de Voltaire/1738/Lettre 990

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Correspondance de Voltaire/1738
Correspondance : année 1738GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 74-75).
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990. — À M. THIERIOT[1].
20 décembre.

En réponse à votre lettre du 14[2].

1° Je vous prie, mon cher ami, de lire les petits versiculets qui se trouvent dans ma lettre à ""sir Isaac[3]. C’est une petite formule de quête pour les Lapones, suivant les rites de bienfaisance de l’abbé de Saint-Pierre d’Utopie.

2° Écrivez-moi, de grâce, un peu de détail sur l’Épître de l’Homme.

3° Je suis confondu que vous n’avez pas reçu celle sur la Nature du plaisir. Elle était dans un gros paquet, et je me souviens très-bien que je vous priais de ne la pas envoyer sitôt au prince. Or voyez donc, en feuilletant notre Commercium epistolicum, si vous retrouverez la lettre en question : elle a été écrite il y a six semaines ou deux mois. La perte de ce gros paquet me donne de vives inquiétudes.

4° Je vous prie de répondre aux semeurs de zizanie que le Père Porée, mon ancien régent, est mon ami intime ; qu’il m’écrivit il n’y a pas quinze jours, et qu’il est incapable de la lâche et scandaleuse noirceur qu’on lui impute.

5° Apparemment que le petit Lamare espère beaucoup de vous et peu de moi, car depuis que je lui ai donné cent livres d’une part et cent vingt de l’autre, je n’entends pas parler de lui ; il ne m’en a pas seulement accusé la réception.

6° Comme j’en ai usé de même avec Linant, et que vous m’avez mandé il y a quelque temps qu’il avait tenu des discours fort insolents de Cirey, je vous prie de me mander quels sont ces discours. Rien n’est si triste qu’un soupçon vague. Il faut savoir sur quoi compter : demi-confidence est torture. Il faut tout ou rien, en cela comme en amitié.

7° Je n’ai nul empressement pour le palais Lambert, car il est à Paris. Si Mme du Châtelet veut l’acheter, il lui coûtera moins que vous ne dites. Je vivrai avec elle là, comme à Cirev ; et dans un Louvre ou dans une cabane, tout est égal. Je ne crois pas que cette acquisition dérange trop sa fortune, et je crois que je pourrai toujours la voir jouir d’un état très-honorable, avec une sage économie qu’il faut recommander à sa générosité. Au reste, il faudrait que le public ne fût pas informé de cette acquisition avant le temps.

8° Envoyez-moi, je vous prie, la lettre de M. Algarotti. Mais pourquoi ne vous écrit-il point ?

9° Dites au très-aimable M. Helvétius que je l’aime infiniment, et que je dis toujours en parlant de lui :

Macte animo, generose puer ! sic itur ad astra !

(Æn., 1. IV.)

10° Je vous souhaite la bonne année, je vous embrasse tendrement. Dites à monsieur votre frère qu’il m’envoie un nota de ce que je lui redois ; c’est un créancier trop paisible. Adieu, mon cher ami ; portez-vous mieux que moi ; excusez ma paresse auprès de Son Altesse royale sur ma mauvaise santé. Bonsoir.

  1. Voici une version plus exacte d’une lettre à Thieriot, classée toujours à la date du 20 décembre. MM. Bavoux et François ont eu tort de remplacer cette date par celle du 29. Il est évident que dans cette lettre Voltaire tàte son ami, et n’a pas encore éclaté contre lui à cause de son silence sur le pamphlet de Desfontaines. (G. A.)
  2. Les éditeurs de cette lettre ont lu : 24.
  3. Voyez la lettre suivante à Maupertuis.