Correspondance de Voltaire/1740/Lettre 1250

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Correspondance de Voltaire/1740
Correspondance : année 1740GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 395).

1250. — À MADEMOISELLE QUINAULT.
Bruxelles, ce 11 mars.

Je n’ai voulu avoir l’honneur de vous répondre, mademoiselle, qu’après avoir exécuté vos ordres autant que je l’ai pu. J’avais besoin de revoir cette Zulime pour laquelle vous daignez vous intéresser ; pour bien corriger un acte, il faut avoir les autres dans la tête. Je n’ose être content de moi ; mais je vous supplie d’en être contente, et de la faire jouer telle que je l’ai corrigée selon vos intentions. Je sens que je ne peux plus y rien faire d’essentiel. Certainement son succès ou sa chute sont dans le gros de la pièce, et non dans de petits détails. Ne me jugez point par les lumières de votre esprit, mais par les bornes de mon talent : il y a des barrières pour tous les artistes. Les personnes d’un goût comme le vôtre voient bien loin au delà de ces barrières, mais l’artiste ne peut y atteindre. Nee croyez pas que mon peu de génie puisse suivre votre goût.

Si vous voulez vous en tenir à mes derniers efforts, je me flatte que vous ferez connaître Zulime au public après Pâques, J’avais oublié de vous dire que je pense qu’il faut absolument que M. Legrand joue Mohadir. J’ai ajouté quelque chose d’assez touchant au récit que fait ce Mohadir, de la mort du bonhomme ; et vous savez combien Legrand fait valoir les récits. J’espère beaucoup de la distribution des rôles. Peut-être celui de M. Dufresne n’a-t-il pas des mouvements assez passionnés et assez contrastés : ce sont ces contrastes qui font valoir le mérite d’un acteur. Il y en a beaucoup dans le rôle de Zulime ; mais qui ramènera Mlle Dumesnil de la fureur à la tendresse ? ce sera vous. Vous donnerez, mademoiselle, vos conseils aux acteurs comme aux auteurs ; heureux ceux qui en profiteront ! Je vous regarde comme la reine du théâtre.

Je vous suis dévoué pour jamais avec tous les sentiments que je dois à vos talents, à votre mérite et à vos extrêmes bontés pour moi.

Le paquet a été adressé à M. de Pont-de-Veyle.