Correspondance de Voltaire/1741/Lettre 1418

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Correspondance de Voltaire/1741
Correspondance : année 1741GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 26-27).

1418. — À MADAME LA COMTESSE D’ARGENTAL[1].
À Bruxelles, le 13 mars.
au très-aimable secrétaire de mon ange gardien.

Près de vous perdre la lumière,
C’est doublement être accablé.
Qui vous entend est consolé ;
Mais celui qui, sachant vous plaire,
Vous aime et vit auprès de vous,
Celui-là n’a plus rien à craindre
Quoi qu’il perde, son sort est doux,
Et les seuls absents sont à plaindre.

Cependant il faut que mon cher et respectable ami cesse d’être quinze-vingts, car encore faut-il voir ce que l’on aime.

Quand il vous aura bien vue, madame, je vous demande en grâce à tous deux de lire le nouveau Mahomet, qui est tout prêt. Je l’ai remanié, corrigé, repoli de mon mieux. Il est nécessaire qu’il soit entre vos mains avant Pâques, si mon conseil ordonne qu’il soit joué cette année.

Je n’ai vu aucune des pauvretés qui courent dans Paris. Nous étudions de vieilles vérités, et nous ne nous soucions guère des sottises nouvelles. Mme du Châtelet a gagné, ces jours-ci, un incident très-considérable de son procès et elle l’a gagné à force de courage, d’esprit, et de fatigues. Cela abrégera le procès de plus de deux ans, et toutes les apparences sont qu’elle gagnera le fond de l’affaire comme elle a gagné ce préliminaire.

Alors, madame, nous irons vivre dans ce beau palais[2] peint par Lebrun et Lesueur, et qui est fait pour être habité par des philosophes qui aient un peu de goût.

Je ne sais pas encore si le roi de Prusse mérite l’intérêt que nous prenons à lui il est roi, cela fait trembler. Attendons tout du temps.

Adieu ; je vous embrasse, mes chers anges gardiens. Mme du Châtelet vous aime plus que jamais.

  1. Voyez, tome XXXIV, une note sur la lettre 785.
  2. L’hôtel Lambert.