Correspondance de Voltaire/1745/Lettre 1748

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Correspondance de Voltaire/1745
Correspondance : année 1745GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 382).
1748. — À MADAME LA MARQUISE DE POMPADOUR.

Sincère et tendre Pompadour
(Car je peux vous donner d’avance
Ce nom qui rime avec l’amour,
Et qui sera bientôt le plus beau nom de France),
Ce tokai dont Votre Excellence
Dans Étiolles me régala
N’a-t-il pas quelque ressemblance
Avec le roi qui le donna ?
Il est, comme lui, sans mélange ;
unit, comme lui, la force et la douceur,
Plaît aux yeux, enchante le cœur,
Fait du bien, et jamais ne change.

Le vin que m’apporta l’ambassadeur manchot[1] du roi de Prusse (qui n’est pas manchot), derrière son tombereau d’Allemagne, qu’il appelait carrosse, n’approche pas du tokai que vous m’avez fait boire. Il n’est pas juste que le vin d’un roi du Nord égale celui d’un roi de France, surtout depuis que le roi de Prusse a mis de l’eau dans son vin par sa paix[2] de Breslau.

Dufresny a dit, dans une chanson, que les rois ne se faisaient la guerre que parce qu’ils ne buvaient jamais ensemble : il se trompe ; François Ier avait soupé avec Charles-Quint, et vous savez ce qui s’ensuivit. Vous trouverez, en remontant plus haut, qu’Auguste avait fait cent soupers avec Antoine. Non, madame, ce n’est pas le souper qui fait l’amitié, etc[3].

  1. Camas. Voyez la lettre de Frédéric, du 29 juillet 1740.
  2. Conclue en juin 1742 avec Marie-Thérèse.
  3. Une lettre de la marquise de Pompadour à Voltaire, datée de Fontainebleau, dimanche au soir (sans autre indication), est signalée dans un catalogue d’autographes qui en donne cette description « Elle porte cette suscription : « À monsieur, monsieur de Voltaire, historiographe de France, rue Traversière, Paris. » Elle approuve son dessein de détruire par une histoire vraie les infâmes calomnies du journal qu’il lui a signalé. « Soyez convaincu que personne ne fait plus de cas du mérite et n’estime plus les grands hommes que moi, par conséquent Voltaire. »