Correspondance de Voltaire/1748/Lettre 1904

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Correspondance de Voltaire/1748
Correspondance : année 1748GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 524).

1904. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Lunéville, le 15 août.

Souffrirez-vous, mon ange gardien, qu’on habille notre ombre de noir, et qu’on lui donne un crêpe comme dans le Double Veuvage[1] ? Mon idée, à moi, c’est qu’elle soit toute blanche, portant cuirasse dorée, sceptre à la main, et couronne en tête. En fait d’ombre, il m’en faut croire, car j’ai l’honneur de l’être un peu, et je le suis plus que jamais. Je me flatte que Mme  d’Argental ne l’est pas, et qu’elle a rapporté des eaux cette santé brillante, ou du moins ce tour de santé que je lui ai connu. Nous voici actuellement à Lunéville ; je pourrai bien venir vous faire ma cour a tous deux, et vous remercier, si vous faites la fortune de Sémiramis.

Votre substitut, l’abbé de Chauvelin, me mande que le roi donne une décoration magnifique ; chargez-vous, s’il vous plaît, de la plus grande partie de la reconnaissance, car tout cela se fait pour vous ; mais n’allons pas être sifflés avec une dépense royale, et qu’on ne dise pas :

Le faste de votre dépense
N’a point su réparer l’extrême impertinence, etc.

Cette petite distinction va mettre contre moi tout le peuple d’auteurs et, si je suis sifflé, je n’oserai jamais me présenter devant, M. et Mme  d’Argental, ni devant le roi. Il n’y a que votre présence, à la première représentation, qui puisse me rassurer. Vous savez que la fête est pour vous. Je n’y serai pas[2], mais vous y serez cela vaut bien mieux.

Adieu, adorables créatures.

  1. De Dufresny.
  2. Il y assista. Stanislas partit pour Versailles le 26 août ; Voltaire l’accompagna, et le jour même de la première représentation de Semiramis, 29 août, il arrivait à Paris. (G. A.)