Correspondance de Voltaire/1749/Lettre 2008

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Correspondance de Voltaire/1749
Correspondance : année 1749, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 58-59).

2008. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Lunéville, le 1er septembre.

Il y a bien longtemps qu’on me fait attendre le décret céleste ; je ne sais encore ce que je dois penser de Rome sauvée. J’attends vos ordres pour avoir une opinion.

Mme du Châtelet n’est point encore accouchée, mais Fulvie l’est. Je lui ai donné un enfant tout venu, au lieu de la présenter avec un gros ventre qui ne serait qu’un sujet de plaisanterie pour nos petits-maîtres.

En attendant, je vous envoie Nanine telle que tous avez voulu qu’elle fût. Je suis à l’ébauche du cinquième acte d’Électre[1], et à d’Électre sans amour. Je tâche d’en faire une pièce dans le goût de Mérope ; mais j’espère qu’elle sera d’un tragique supérieur. Je peux perdre mon temps, mais tous m’avouerez que je l’emploie.

M. de Cury m’a écrit qu’on avait ordonné un beau tombeau pour très-haut et très-puissant prince Ninus, roi d’Assyrie. Détachez, je vous en prie, M. de Bachaumont[2] aux sieurs Slodtz ; Slodtz signifie paresseux en anglais.

Il y a quelques vers biscornus dans le commencement du Catilina ; mais croyez qu’ils sont tous corrigés, et, j’ose dire, embellis. Si j’avais des copistes, vous auriez déjà la suite. Je vous le répète, mes chers et respectables amis, Catilina est ce que j’ai fait de moins indigne de vos soins. J’ai Sémiramis à cœur. Quand jouera-t-on cette Sémiramis ? quand viendra Catilina ? Vous ordonnerez de sa destinée. Je dois écrire à Mme de Pompadour[3]. Il faut en être protégé, ou du moins souffert. Je lui rappellerai l’exemple de Madame[4], qui fit travailler Racine et Corneille à Bérènice.

Votre maudite grand’chambre vient de me faire perdre un procès de trente mille livres, malgré la loi précise ; et cela parce que le rapporteur (je ne sais quel est ce bonhomme ?) s’est imaginé que mon acquisition n’était pas sérieuse, et que je n’étais pas assez riche pour avoir fait un marché de trente mille livres.

Je ne suis pas en train de dire du bien des sénats.

Adieu, consolation de ma vie.

  1. Oreste, représenté pour la première fois le 12 janvier 1750.
  2. Louis Petit de Bachaumont, nommé dans une lettre du 28 février 1754 à d’Argental.
  3. Cette lettre est perdue ou n’a pas été écrite.
  4. Henriette d’Angleterre, belle-sœur de Louis XIV.