Correspondance de Voltaire/1752/Lettre 2374

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Correspondance de Voltaire/1752
Correspondance : année 1752, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 422-423).

2374. — À M. FORMEY.
Potsdam.

J’attendrai ici, monsieur, où je me trouve très-bien, les ouvrages sublimes[1] que vous voulez bien m’annoncer. Ce ne sont pas là des ouvrages de plagiat, comme la Henriade, Alzire, Brutus, et Catilina. Je ne doute pas qu’on ne prodigue dans les journaux pleins d’impartialité et de goût les plus justes éloges à ces divins recueils qui passeront à la dernière postérité.

Je ne sais ce que c’est que cette Histoire des progrès ou de la décadence, ou de l’impertinence de l’esprit humain. J’avais, pour mon instruction particulière, fait une Histoire universelle depuis Charlemagne ; on en a imprimé des fragments dans des feuilles hebdomadaires ou dans des Mercures ; on m’a volé tout ce qui regarde les arts et les sciences, et la partie historique depuis François Ier jusqu’au siècle de Louis XIV, qui terminait ce tableau ; c’est tout ce que je sais. Il y a deux ans que mon manuscrit est volé. Si vous avez quelque nouvelle de cet ouvrage, que vous dites annoncé depuis peu, vous me ferez plaisir, monsieur, de m’en instruire, et je prendrai les mesures que je pourrai pour rattraper mon manuscrit, si cependant cela en vaut la peine.

Vanitas vanitatum[2] ! Tous ces recueils assommants de mémoires assommants pour l’esprit humain, d’histoires des sciences, de projets pour les arts, de compilations, de discours vagues, d’hypothèses absurdes, de disputes dignes des petites-maisons, tout cela tombe dans le gouffre de l’oubli ; il n’y a que les ouvrages de génie qui restent. L’Orlando furioso a enterré plus de dix mille volumes de scolastique ; aussi je lis l’Arioste, et point du tout Scott, saint Thomas, etc., etc. Portez-vous bien ; il n’y a que cela de bon. Tuus sum ; tua non tueor, quia nihil tucor ; sed tibi addictus ero.

  1. Formey avait annoncé à Voltaire avoir reçu pour lui, de la part de. Moncrif, un exemplaire de ses Œuvres, 1751, trois volumes in-12.
  2. Ecclésiaste, I, 2.