Correspondance de Voltaire/1752/Lettre 2378

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Correspondance de Voltaire/1752
Correspondance : année 1752, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 426-427).

2378. — À M. DARGET.
À Berlin, 23 mai.

Mon cher Darget, je respecte les médecins, je révère la médecine, en qualité de vieux malade ; mais je ne suis pas peu surpris que vos Esculapes prennent pour du scorbut des maux de vessie. Cette vessie n’a pas plus de rapport avec le scorbut qu’avec la goutte. Chaque maladie a son département. La migraine attaque la tête ; la goutte, les pieds et les mains ; la V… s’adresse à la lymphe, et ensuite aux os ; le scorbut gonfle les gencives, déboîte les articles, fait tomber les dents ; j’en parle par une funeste expérience, moi qui ai perdu toutes les miennes par cette peste cruelle. Dieu vous préserve, mon cher ami, des atteintes d’un mal si affreux ! Croyez que vos belles dents sont un excellent témoignage contre le sentiment de M. Mallouin. Heureux les malades qui vont de Plaisance à Bellevue, et qui entendent les sirènes de ce beau rivage ! Je vois bien que vous ne reviendrez pas sitôt dans notre couvent. Vous y trouverez le jardin du comte de Rottembourg vendu à Mme  Daun, la belle maison de d’Argens à M. Ekel, deux belles pièces de gazon dans la cour du château. Voilà ce qui s’appelle de grandes nouvelles ; voilà les révolutions de Potsdam.

La douceur uniforme de notre vie n’a pas de plus grands objets à vous présenter. J’ai trouvé mon maître aux échecs dans le marquis de Varenne ; mon maître en éloquence abondante dans le marquis d’Argens, et mon maître en tout dans le roi. Maupertuis se rétablit difficilement, et va reprendre l’air natal. Pour moi, je suis trop malade pour voyager. Je suis tout accoutumé à mes souffrances ; et j’aime autant mourir à Potsdam qu’ailleurs.


..........Quod petis, hic est ;
Est Ulubris, animus si te non déficit æquus
[1].



Vous ne me dites rien de M. Duverney ; je ne doute pas, mon cher ami, que vous ne l’ayez retrouvé avec la même santé, la même amitié pour vous, prenant toujours à vous le même intérêt. Je vous ai prié, et je vous prie encore de lui faire mes compliments, aussi bien qu’à M. le marquis de Valori. Adieu ; goûtez les charmes brillants de Paris, et n’oubliez pas les plaisirs tranquilles de Potsdam.

Il n’est point du tout question ici de l’abbé de Prades.

  1. Horace, livre I, épître xi, vers 29-30.