Correspondance de Voltaire/1752/Lettre 2399

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Correspondance de Voltaire/1752
Correspondance : année 1752, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 453-454).

2399. — À M. DARGET.
À Potsdam, 25 juillet 1752.

Je vous plains, et je vous félicite, mon cher Darget ; il est bien cruel d’avoir une sonde dans l’urètre, mais il est consolant d’être sûr de guérir. Per quæ quis peccat, per hæc et punietur[1]. Mais votre pénitence va bientôt finir. Si je voulais, je me ferais valoir pour avoir toujours soutenu, contre vos médecins, que vous n’aviez point le scorbut ; mais il est si aisé d’avoir raison contre ces messieurs qu’il n’y a pas là de quoi se vanter. Vous deviez d’ailleurs être consolé par la lettre que le roi vous a écrite de sa main[2], et vous le serez encore davantage quand vous reviendrez dans notre monastère guerrier : vous y retrouverez les mêmes bontés dans le père gardien, la même magnanimité, la même condescendance : le même esprit règne toujours parmi les frères, et notre vie est la tranquillité même. Il est vrai que j’ai damné notre révérend père, mais au moins c’est en bonne compagnie ; et vous m’avouerez que le diable est bien partagé d’avoir à sa cour Platon, Marc-Aurèle, et Frédéric. En attendant nous sommes dans le paradis, et je chante des alléluia malgré toutes les maladies dont je suis accablé. Venez donc, dès que vous serez guéri, augmenter le petit nombre des élus. Rapportez-nous votre vessie et votre gaieté : venez jouir à Potsdam de votre considération, de votre fortune, et de la paix. Vous y aurez le plaisir de jouir et d’espérer. Chaque jour rendra votre destinée plus agréable, votre fortune plus grande, et vos plaisirs plus vifs. Il faut passer sa vie à Potsdam ; c’est mon dessein comme le vôtre. N’allez pas vous laisser séduire par vos dames de Paris, quand votre … sondée sera en état de leur être présentée. Fuyez les agréments de Plaisance, résistez aux tentations. M. Duverney sans doute voudra vous retenir ; mais combien les bontés d’un grand roi, qui peuvent augmenter tous les jours, combien sa confiance, et votre place auprès de lui, sont-elles au-dessus de tout ce qu’on peut vous offrir à Paris ? Songez ce que c’est que de jouir dans un beau séjour des bontés d’un roi toujours humain, toujours égal, sans exciter l’envie des nationaux, sans avoir rien à essuyer de ses compatriotes. Vous me retrouverez tel que vous m’avez laissé, ne sortant point de ma cellule que j’aime, travaillant autant que mes forces délabrées le peuvent permettre, résigné dans ma vocation, et vous aimant de tout mon cœur. Je vous prie de faire mes compliments à M. Daran[3], quoique je n’aie pas besoin de lui.

  1. Voyez une des notes sur la lettre 2358.
  2. La lettre de Frédéric à Darget, du 6 juillet 1752, se termine ainsi : « Trémoussez-vous beaucoup, prenez peu de drogues, et choisissez la Pâris plutôt que Vernage et Astruc pour votre médecin, Arlequin pour votre apothicaire, et Scaramouche pour votre baigneur. » Il est question de la Pâris dans une note de la lettre 2085.
  3. Chirurgien encore connu aujourd’hui par les sondes ou bougies qui portent son nom. (B.)