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Correspondance de Voltaire/1752/Lettre 2426

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Correspondance de Voltaire/1752
Correspondance : année 1752, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 481-482).

2426. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
À Potsdam, le 5 septembre.

Sire, votre pédant en points et en virgules, et votre disciple en philosophie et en morale, a profité de vos leçons, et met à vos pieds la Religion naturelle[1], la seule digne d’un être pensant. Vous trouverez l’ouvrage plus fort et plus selon vos vues. J’ai suivi vos conseils ; il en faut à quiconque écrit. Heureux qui peut en avoir de tels que les vôtres ! Si vos bataillons et vos escadrons vous laissent quelque loisir, je supplie Votre Majesté de daigner lire avec attention cet ouvrage, qui est en partie l’exposition de vos idées, et en partie celle des exemples que vous donnez au monde. Il serait à souhaiter que ces opinions se répandissent de plus en plus sur la terre. Mais combien d’hommes ne méritent pas d’être éclairés !

Je joins à ce paquet ce qu’on vient d’imprimer en Hollande. Votre Majesté sera peut-être bien aise de relire l’Éloge de La Mettrie[2]. Cet Éloge est plus philosophique que tout ce que ce fou de philosophe avait jamais écrit. Les grâces et la légèreté du style de cet Éloge y parent continuellement la raison. Il n’en est pas de même de la pesante lettre[3] de Haller, qui a la sottise de prendre sérieusement une plaisanterie. La réponse grave de Maupertuis n’était pas ce qu’il fallait. C’était bien le cas d’imiter Swift, qui persuadait à l’astrologue Partridge qu’il était mort. Persuader un vieux médecin qu’il avait fait des leçons au b… eût été une plaisanterie à faire mourir de rire.

Nous attendrons tranquillement Votre Majesté à Potsdam. Qu’irais-je faire à Berlin ? Ce n’est pas pour Berlin que je suis venu, quoique ce soit une fort belle ville ; c’est uniquement pour vous. Je souffre mes maux aussi gaiement que je peux. D’Argens s’amuse et engraisse, Arius de Prades est un très-aimable hérésiarque. Nous vivons ensemble en louant Dieu et Votre Majesté, et en sifflant la Sorbonne. Nous avons de beaux projets pour l’avancement de la raison humaine. Mais un plus beau projet, c’est Gustave Wasa. Il n’y a pas moyen d’y penser en Silésie, mais je me flatte qu’à Potsdam vous ne résisterez pas à la grâce efficace qui vous a inspiré ce bon mouvement. Ce sujet est admirable, et digne de votre génie unique et universel. Je me mets à vos pieds.

  1. Ou le poome de la Loi nalurelle.
  2. Par le roi de Prusse.
  3. La Mettrie avait, en 1748, dédié son Homme machine à Haller comme à son compagnon, son maître, son ami. Haller regarda cette dédicace comme un affront, désavoua les principes du livre, et déclara n’avoir jamais eu de liaison ni d’amitié pour La Mettrie. Celui-ci publia, peu avant sa mort, une brochure intitulée le Petit Homme, où il raconte, entre autres choses, avoir fait, en 1751, plusieurs soupers de fille avec M. Haller, qui y était fort aimable. Pour avoir réparation, Haller écrivit à Maupertuis, président de l’Académie de Berlin, de laquelle étaient aussi Haller et La Mettrie. La lettre de Haller arriva à Berlin le jour même de la mort de La Mettrie, que Maupertuis défendit comme il put dans sa réponse à Haller. (B.)