Correspondance de Voltaire/1752/Lettre 2454
Madame, frère Voltaire, mort au monde, amoureux de sa cellule et de son couvent dont il n’est sorti depuis huit mois, rompt enfin son silence pour Votre Altesse royale. Son détachement des choses humaines lui laisse encore quelque faiblesse, et cette faiblesse, madame, est toute pour vous. Il croit même que ce n’en est point une, et que Dieu lui pardonnera de conserver un attachement si raisonnable pour une de ses plus parfaites créatures. Je prends la liberté de lui envoyer un petit ouvrage de dévotion que j’ai fait pour mon très-révérendissime père en Dieu, le philosophe de Sans-Souci[2] ? Je supplie instamment Votre Révérence royale de ne pas permettre qu’on en fasse de copie ; il ne faut pas que les mystères des saints soient exposés à des yeux profanes. Ce pieux manuscrit est en bien petits caractères, mais elle pourra se le faire lire par M. le marquis d’Adhémar ou par M. le marquis de Montperny, diacres de son église. Je suis bien fâché d’être réduit à présumer seulement que M. d’Adhémar soit auprès de Son Altesse royale ; je n’ai eu aucune nouvelle de lui depuis six mois. S’il est auprès de vous, madame, je ne suis pas surpris qu’il oublie le genre humain. J’espère toujours faire un petit voyage en Italie, et voir la ville souterraine avant de mourir ; mais, avant d’aller voir ce qui est sous terre, je compte bien venir faire ma cour à ce qu’il y a sur la terre de plus adorable, et renouveler à Votre Altesse royale et à monseigneur les profonds respects et la dévotion ardente de