Correspondance de Voltaire/1754/Lettre 2686

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Correspondance de Voltaire/1754
Correspondance : année 1754GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 161).
2686. — À M. LE MARQUIS DE THIBOUVILLE.


Ma félicité, mon cher marquis, est montée à un tel excès que la seule philosophie peut me donner la modération nécessaire dans la bonne fortune ; et la seule amitié peut obtenir enfin de moi que je vous réponde dans l’ivresse de mon bonheur. Cette belle et décente édition d’une prétendue Histoire universelle, mise si agréablement sous mon nom par un honnête libraire, a été reçue du clergé avec une extrême bonté et des marques d’attention qui me pénètrent de joie et de reconnaissance. Dans une situation si charmante, jeune, brillant de santé, encouragé par la meilleure compagnie, vous croyez bien que je me fais un plaisir de travailler dans mes agréables moments de loisir à perfectionner une tragédie amoureuse, et que ce serait pour moi le comble des agréments de me commettre avec le discret et indulgent parterre, et avec les auteurs pleins de justice et d’impartialité. Je jouis de mes amis, de mes parents, de ma maison, de mes livres, de mon bien, de la faveur des rois : tout cela anime, et il faudrait être d’un génie bien stérile pour ne pas cultiver les muses avec succès, au milieu de tant d’encouragements. Pardon de cette longue ironie. Je vous parle très-sérieusement, mon cher marquis, quand je vous dis combien je vous aime. Notre amitié, votre suffrage, pourraient m’encourager ; mais je sais trop ce qui manque à Zulime. Elle est trop longtemps sur le même ton : c’est un défaut capital. Il faut de l’uniformité dans la société, mais non pas au théâtre ; et d’ailleurs quel temps ! Adieu.