Correspondance de Voltaire/1754/Lettre 2687

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Correspondance de Voltaire/1754
Correspondance : année 1754GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 161-162).

2687. — À. M. ROQUES.
Colmar, le février 1754.

Oui, monsieur, je me souviendrai de vous toute ma vie, et je vous aimerai toujours, parce que vous m’avez paru juste et modéré.

J’ai supporté avec beaucoup de patience et peu de mérite la persécution que j’ai essuyée. L’horreur et le mépris qu’elle m’a paru inspirer au public, pour leurs auteurs, me vengeaient assez. Je suis accoutumé aux libelles. Vous me ferez plaisir de m’envoyer la Gazette de Brunswick, dont vous me parlez. À l’égard de cette prétendue Histoire universelle, vous verrez, monsieur, ce que j’en pense par l’imprimé ci-joint[1]. C’est une friponnerie de libraire. Les belles-lettres et la librairie ne sont plus qu’un brigandage. J’ai désavoué et condamné hautement cette indigne édition dans plusieurs écrits, et particulièrement dans la préface des Annales de l’Empire[2], que je vous enverrai par la voie que vous voudrez bien m’indiquer. J’avais commencé ces Annales à Gotha, je n’avais pu refuser cette obéissance aux ordres de madame la duchesse. J’ai continué mon ouvrage à Francfort ; je suis venu le finir à Colmar, où j’ai trouvé beaucoup de secours. Vous voyez que les plus horribles persécutions n’ont ni dérangé ma philosophie, ni diminué mon goût pour le travail, que j’ai toujours regardé comme la plus grande consolation pour les malheurs inséparables de la condition humaine. C’est chez soi, c’est dans son cabinet, qu’on doit trouver des armes contre les injustices des hommes. Les princes cherchent dans des chiens, des chevaux, et des piqueurs, une distraction à leurs chagrins et à leur ennui ; les philosophes doivent la trouver dans eux-mêmes. Mais une des plus grandes consolations, c’est l’amitié d’un homme comme vous ; conservezla-moi, et comptez sur celle de votre, etc.

  1. Probablement l’écrit. À M. de *** le professeur en histoire ; voyez tome XXIII, page 29.
  2. Voltaire appelle ainsi la pièce dont il est parlé dans la note précédente.