Correspondance de Voltaire/1755/Lettre 2843

La bibliothèque libre.
Correspondance de Voltaire/1755
Correspondance : année 1755GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 314-315).

2843. — À M. DE BRENLES,
À Prangins, le 7 janvier.

Vous faites très-bien, monsieur, de ne point venir à Prangins, où il n’y a, à présent, que du froid et du vent. Je commence à vous être attaché de manière à préférer votre bien-être à mon plaisir. Je vais faire mes efforts, tout malade que je suis, pour me rapprocher de vous, et pour jouir de votre présence réelle. J’ai déjà conclu pour Monrion[1] sans l’avoir vu, et je me flatte que M. de Giez[2] ne signera de marché qu’avec moi. J’irai voir Monrion dès que je serai quitte de trois ou quatre rhumatismes qui m’empêchent de vous écrire de ma main. Il faut bien voir par bienséance la maison qu’on achète ; mais vous sentez que vous et Mme de Brenles vous êtes le véritable objet de mon voyage. J’ai grande impatience de venir achever de vivre avec des philosophes.

Je reçois dans ce moment une lettre[3] de monseigneur l’électeur Palatin, qui me paraît philosophe aussi. Il me mande qu’il a été sur le point de mourir ; il veut que je vienne le voir incessamment, mais je vous jure que vous aurez la préférence.

Je reçois aussi une lettre de notre ami Dupont, qui veut avoir la prévôté de la petite ville de Munster auprès de Colmar, et qui s’imagine que j’aurai le crédit de la lui faire obtenir. Je n’aurais pas celui d’obtenir une place de balayeur d’église ; cependant il faut tout tenter pour ses amis, et l’amitié doit être téméraire.

Mme Goll ne m’écrit point ; je voudrais qu’elle vînt partager, à Monrion, la possession des prés, des vignes, des pigeons, et des poules, dont j’espère être propriétaire.

Puis-je vous supplier, monsieur, de vouloir bien présenter mes respects à monsieur le bailli et à monsieur le bourgmestre.

Ma garde-malade vous fait, ainsi qu’à Mme de Brenles, les plus sincères compliments.

J’ose me regarder comme votre ami ; point de cérémonies pour les gens qui aiment.

  1. Monrion ou Mont-Riond (Mons rotondus), nom donné à un crêt ou monticule planté de vignes, situe entre Lausanne et le lac Léman, et tout près duquel se trouve, en se rapprochant de la droite du chemin qui descend de la même ville au petit port d’Ouchy, la maison de Monrion dont parle ici Voltaire. Voltaire commença à y demeurer le 16 décembre 1755 ; il y resta jusqu’au 10 mars 1756. Entre le 9 janvier 1757 et les premiers jours d’avril suivant, il y fit une autre station de trois mois. Cette maison fut habitée plus tard par le médecin Tissot, qui en devint propriétaire, (Cl.)
  2. Giez, dont le nom se prononce , ou Gies, dans le canton de Vaud, était un jeune Suisse, banquier de Voltaire. Il mourut environ dix mois plus tard. — Lettres du 26 septembre et du 24 octobre 1755, à Brenles.
  3. Celle du 29 décembre 1754.