Correspondance de Voltaire/1756/Lettre 3102

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Correspondance de Voltaire/1756
Correspondance : année 1756GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 538-539).

3102. — À M. BERTRAND,
à berne.
À Monrion, 24 janvier.

Pour répondre à votre difficulté, mon cher monsieur, sur l’histoire de Jeanne d’Arc, je vous dirai que, quelques années après sa mort, il y eut une grosse créature fraîche, belle et hardie, accompagnée d’un moine, qui alla s’établir à Toul, et se dit la Pucelle d’Orléans, échappée au bûcher. Le moine contait par quel miracle cette évasion s’était opérée ; on leur fit un grand festin dans l’hôtel de ville, et les registres en font foi. L’illusion alla si loin qu’un homme de la maison des Armoises épousa cette aventurière, croyant épouser la Pucelle d’Orléans ; et c’est de ce mariage que descend le marquis des Armoises d’aujourd’hui. Voilà pourquoi, monsieur, on a prétendu, en Lorraine, que la Sorbonne et les Anglais n’avaient point consommé leur crime, et que la Pucelle d’Orléans, pucelle ou non, n’avait point été brûlée[1]. Cette aventure n’est point extraordinaire dans un temps où il n’y avait point de communication d’une province à une autre, et où l’on faisait son testament quand on entreprenait le voyage de Nancy à Paris.

Je reçois dans le moment votre lettre, et celle de cet autre aventurier qui va chercher de nouveaux malheurs chez les Vandales. Sa conduite paraît d’un fou, et son billet est d’un Gascon. Mais ce n’est pas sa folie, c’est son malheur qu’il faut soulager. Je vous remercie de tout mon cœur des dix écus que vous avez eu la bonté de lui donner de ma part. Vous avez poussé trop loin la générosité, on l’aidant aussi vous-même de votre bourse. Mais enfin c’est votre métier de faire de bonnes actions. Comme vous ne me mandez point par quelle voie je dois vous rembourser les dix écus, permettez que je vous en adresse le billet inclus pour M.  Panchaud.

Ètes-vous informé que, le 21 décembre, il y a eu un nouveau tremblement de terre à Lisbonne, qui a fait périr soixante et dix-huit personnes ? On compte cela pour rien. Les Français préparent une descente en Angleterre. Qu’allait-il faire dans cette galère[2]. Quel optimisme que tout cela ! Heureux les hommes ignorés qui vivent chez eux en paix ! plus heureux ceux qui vivent avec vous ! Je vous embrasse de tout mon cœur. Je vous remercie ; je vous supplie de présenter mes respects à M.  le baron de Freudenreich. Tuus semper.

  1. Voyez tome XXIV, page 502.
  2. Fourberies de Scapin, II, ii.