Correspondance de Voltaire/1756/Lettre 3162

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Correspondance de Voltaire/1756
Correspondance : année 1756GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 34-35).

3162. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
Aux Délices, près de Genève, 26 avril.

Madame, je me doutais bien de quel avis serait Votre Altesse sérénissime. Le plaisant de l’affaire, c’est qu’à Paris, quand on a vu l’ouvrage adressé à une princesse, on a cru que cette princesse était une sœur[2] de …, et on l’a imprimé avec son nom. Je n’ai eu qu’à me taire, et je laisse les prêtres et les philosophes se battre.

Les Français et les Anglais doivent se battre, à présent, un peu plus sérieusement. M.  de Richelieu attaque à présent le Port-Mahon, et la flotte anglaise n’a pas encore paru pour le défendre. Si elle n’arrive que pour être témoin de la prise, l’Angleterre perdra son crédit dans l’Europe.

Il est toujours très-confirmé, par les lettres que je reçois de Buenos-Ayres, que les jésuites font, de leur côté, très-respectueusement la guerre au roi d’Espagne, et qu’ils empêchent les peuples du Paraguai de lui obéir.

Les mêmes lettres m’apprennent les détails inouïs de la destruction de Quito, au Pérou. C’est bien pis qu’à Lisbonne : la terre y a tremblé pendant trois mois. Le Tout est bien est un peu dérangé en Amérique, en Europe et en Afrique. Il se passe toujours des scènes sanglantes en Asie, tant en Perse que dans l’Indoustan. Jugez, madame, s’il est doux de vivre à Gotha.

On dit, à Genève, que Votre Altesse sérénissime pourrait bien y envoyer le prince son second fils, pour y faire quelque temps ses études. Que ne suis-je assez heureux pour que cette nouvelle soit vraie ! ou plutôt, que ne puis-je, dès à présent, venir faire la cour à la mère, et mettre à ses pieds un cœur qui sera toujours pénétré pour elle et pour toute son auguste famille du plus profond respect et du plus inviolable attachement !

  1. Editeurs, Bavoux et François.
  2. La margrave de Baireuth, sœur de Frédéric II.