Correspondance de Voltaire/1756/Lettre 3165

La bibliothèque libre.
Correspondance de Voltaire/1756
Correspondance : année 1756GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 36-37).

3165. — À M. THIEIRIOT.
Aux Délices, 30 avril.

Je viens de lire la gazette, et, en conséquence, je vous prie, mon ancien ami, de faire corriger la note[1] sur Bayle, s’il en est temps. Je ne veux point me brouiller avec gens qui traitent si durement Pierre Bayle. Le parlement de Toulouse honora un peu plus sa mémoire ; mais altri tempi, altre cure.

L’auteur des Notes sur le Sermon de Lisbonne ne pouvait prévoir qu’on ferait une Saint-Barthélemy de Bayle, du pauvre jésuite Berruyer, de l’évêque de Troyes[2], et de je ne sais quelle Christiade. Il faut retrancher tout ce passage : « Je crois devoir adoucir ici, etc. » (page 20), et mettre tout simplement : « Tout sceptique qu’est le philosophe Bayle, il n’a jamais nié la Providence, etc. ; » et, à la fin de la note, il faut retrancher ces mots : « C’est que les hommes sont inconséquents, c’est qu’ils sont injustes. » Ces mots étaient une prophétie ; supprimons-la. Les prophètes n’ont jamais eu beau jeu dans ce monde. Mettons à la place : « C’est apparemment pour d’autres raisons qui n’intéressent point ces principes fondamentaux, mais qui regardent d’autres dogmes non moins respectables. » Je vous prie, mon ancien ami, de ne pas négliger cette besogne ; elle est nécessaire. Il se trouve, par un malheureux hasard, que la note, telle qu’elle est, deviendrait la satire du discours d’un avocat général[3] et d’un arrêt du parlement ; on pourrait inquiéter le libraire, et savoir mauvais gré à l’éditeur ; le pauvre père Berruyer sera de mon avis. Tâchez donc, mon ancien ami, de raccommoder par votre prudence la sottise du hasard.

Je crois actuellement M. de Richelieu dans Port-Mahon ; il n’est pas allé là par la cheminée[4].

Je vous embrasse de tout mon cœur.

  1. Voyez la lettre 3166. L’arrêt de la cour de parlement du 9 avril 1756, sur le réquisitoire d’Omer Joly de Fleury, condamnait à être supprimés ou lacérés et brûlés, non le Dictionnaire de Bayle, mais son Analyse raisonnée (par le Jésuite de Marsy), 1755, 4 vol. in-12 (auxquels Robinet en ajouta quatre en 1773) ; la Christiade, dont il est parlé tome XX, page 32 ; les première et seconde parties de l’Histoire du peuple de Dieu, par Berruyer.
  2. Voyez tome XVI, page 88.
  3. Omer Joly de Fleury.
  4. Richelieu s’introduisait chez Mme de La Popelinière par une cheminée tournante.