Correspondance de Voltaire/1756/Lettre 3165
Je viens de lire la gazette, et, en conséquence, je vous prie, mon ancien ami, de faire corriger la note[1] sur Bayle, s’il en est temps. Je ne veux point me brouiller avec gens qui traitent si durement Pierre Bayle. Le parlement de Toulouse honora un peu plus sa mémoire ; mais altri tempi, altre cure.
L’auteur des Notes sur le Sermon de Lisbonne ne pouvait prévoir qu’on ferait une Saint-Barthélemy de Bayle, du pauvre jésuite Berruyer, de l’évêque de Troyes[2], et de je ne sais quelle Christiade. Il faut retrancher tout ce passage : « Je crois devoir adoucir ici, etc. » (page 20), et mettre tout simplement : « Tout sceptique qu’est le philosophe Bayle, il n’a jamais nié la Providence, etc. ; » et, à la fin de la note, il faut retrancher ces mots : « C’est que les hommes sont inconséquents, c’est qu’ils sont injustes. » Ces mots étaient une prophétie ; supprimons-la. Les prophètes n’ont jamais eu beau jeu dans ce monde. Mettons à la place : « C’est apparemment pour d’autres raisons qui n’intéressent point ces principes fondamentaux, mais qui regardent d’autres dogmes non moins respectables. » Je vous prie, mon ancien ami, de ne pas négliger cette besogne ; elle est nécessaire. Il se trouve, par un malheureux hasard, que la note, telle qu’elle est, deviendrait la satire du discours d’un avocat général[3] et d’un arrêt du parlement ; on pourrait inquiéter le libraire, et savoir mauvais gré à l’éditeur ; le pauvre père Berruyer sera de mon avis. Tâchez donc, mon ancien ami, de raccommoder par votre prudence la sottise du hasard.
Je crois actuellement M. de Richelieu dans Port-Mahon ; il n’est pas allé là par la cheminée[4].
Je vous embrasse de tout mon cœur.
- ↑ Voyez la lettre 3166. L’arrêt de la cour de parlement du 9 avril 1756, sur le réquisitoire d’Omer Joly de Fleury, condamnait à être supprimés ou lacérés et brûlés, non le Dictionnaire de Bayle, mais son Analyse raisonnée (par le Jésuite de Marsy), 1755, 4 vol. in-12 (auxquels Robinet en ajouta quatre en 1773) ; la Christiade, dont il est parlé tome XX, page 32 ; les première et seconde parties de l’Histoire du peuple de Dieu, par Berruyer.
- ↑ Voyez tome XVI, page 88.
- ↑ Omer Joly de Fleury.
- ↑ Richelieu s’introduisait chez Mme de La Popelinière par une cheminée tournante.