Correspondance de Voltaire/1756/Lettre 3199

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Correspondance de Voltaire/1756
Correspondance : année 1756GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 69-70).

3199. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
Aux Délices, près de Genève, 12 juillet.

Madame, mon attachement, ma sensibilité extrême pour tout ce qui intéresse Votre Altesse sérénissime, avaient prévenu la bonté que vous avez eue de daigner me parler de votre perte. Je suis persuadé qu’elle éprouve tous les jours de nouvelles consolations dans des enfants si chers, si dignes d’elle et si bien élevés. Elle les voit croître sous ses yeux ; elle est témoin de leurs progrès. Ce sera là, madame, le plus solide plaisir de votre vie. D’autres vont le chercher à Venise et à Naples ; mais le bonheur réel est dans vous, dans votre esprit sage et élevé ; il est dans la satisfaction d’être aimée. J’y compte pour beaucoup la grande maîtresse des cœars ; je me flatte que les alarmes sur sa santé sont évanouies.

On a reconnu, dans Paris, que les Mémoires de Mme de Maintenon sont autant d’impostures, et que ses lettres, qui sont véritablement d’elle, ne contiennent pas beaucoup d’anecdotes intéressantes. Je suis persuadé qu’un esprit comme le vôtre s’amusera peu de tous ces détails inutiles.

La prise de Port-Mahon et les nouveaux traités occupent l’Europe davantage. Un homme de l’Académie des sciences, à Paris, nommé l’abbé de Gua, a voulu la faire trembler. Il a prédit un tremblement de terre pour le 9 de ce mois ; je me flatte qu’il n’aura pas été prophète.

Ce fameux Tronchin, qui a été à Paris inoculer nos princes et guérir tant de personnes, est chez moi actuellement avec une de mes nièces, qu’il a tirée des portes de la mort. J’aurais bien voulu qu’il eût été à Gotha dans ses voyages : c’est véritablement un grand homme ; mais je suis encore plus incurable qu’il n’est habile. Il faut se soumettre à sa destinée. La mienne, madame, est d’être dévoué à Votre Altesse sérénissime et à toute votre auguste famille, avec le plus profond respect et le plus tendre attachement.

  1. Éditeurs, Bavoux et François.