Correspondance de Voltaire/1756/Lettre 3211

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Correspondance de Voltaire/1756
Correspondance : année 1756GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 80-81).

3211. — À UN ACADÉMICIEN DE LYON[1].
Aux Délices, 29 juillet 1756.

Vous avez bien raison, monsieur ; de jeunes polissons qui, par malheur, savent lire et écrire, s’introduisent dans la république des lettres comme les bourdons se glissent dans les ruches des abeilles.

Celui dont vous me parlez[2], en revenant de Copenhague, où il s’était donné pour professeur de belles-lettres, s’arrêta en 1752 à Berlin. Je tâchai de lui rendre quelques légers services. Il m’en paya en entrant dans les tracasseries que le philosophe de Saint-Malo[3] me suscita dans cette ville.

Ayant quitté Berlin, il parcourut l’Allemagne, cherchant des libraires qui pussent acheter des scandales ; il en trouva un à Francfort-sur-le Mein, où il fit réimprimer mon Siècle de Louis XIV avec des notes satiriques et calomnieuses, pleines d’erreurs et de sottises.

Il vient de reproduire ce tissu de fautes et d’impostures dans son roman des Mémoires de Mme  de Maintenon. Je ne suis pas surpris que ce livre soit connu comme vous me le dites. Il flatte la malignité humaine par des contes scandaleux sur les premières personnes de l’État et sur divers personnages qui ne se seraient jamais attendus de se trouver là. Ce qu’il y a de plus malheureux, c’est que, dans certains chapitres, il imite assez bien le style de Tacite et reproduit quelques-unes de ses maximes. Ce maraud y montre bien de l’esprit, mais il aurait dû en faire un meilleur usage. Comme la vérité est le meilleur fondement du succès des livres historiques, il est probable pourtant que le sien n’aura qu’une vogue éphémère.

Mes sentiments pour vous seront plus durables, et vous pourrez comptez pour toujours sur l’attachement avec lequel, etc.

  1. Publiée par M.  G. Brunet dans le Bibliophile belge, tome III
  2. La Beaumelle.
  3. Maupertuis, né à Saint-Malo, en 1698.