Correspondance de Voltaire/1757/Lettre 3290

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Correspondance de Voltaire/1757
Correspondance : année 1757GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 156).

3290. — À M.  LE CONSEILLER TRONCHIN[1].
Monrion, 15 janvier.

Je suis bien sensible, mon très-cher ami, à votre intention et à celle de notre Esculape.

Il n’y a qu’à lever les épaules de pitié quand un dévot croit assassiner un roi avec un canif à tailler des plumes ; mais il faut frémir d’horreur quand on voit cet exécrable fou animé de l’esprit des convulsionnaires de Saint-Médard, qui a passé dans sa machine atrabilaire. C’est un chien qui a pris la rage de quelques autres chiens, sans le savoir. Il faudra ajouter trois ou quatre lignes au chapitre du jansénisme. Si on avait songé à rendre les jansénistes et les molinistes aussi ridicules qu’ils le sont en effet, Pierre Damiens, petit bâtard de Ravaillac, ne se serait pas servi de son canif.

Le ministère a eu la bonté de m’envoyer les bulletins, et M.  d’Argenson m’a écrit de sa main[2] ; mais je crains les bigots.

On me mande de Vienne que l’impératrice aura en Bohême cent soixante mille hommes, que les Russes viennent au nombre de cent mille. On attend les Francs. Jamais l’empire romain n’a mis tant de monde en campagne ; et il s’agit d’une chétive province que l’empire romain ignorait, et un marquis de Brandebourg a une plus grande armée que Scipion, Pompée et César !

P. S. Vous ne me mandez rien du fanatisme des Pharisiens et des Parisiens ; il y a pourtant eu des placards ; on a arrêté beaucoup de monde. On a mené à la Conciergerie quatre chariots couverts, remplis d’assassins, de cuistres, de témoins vrais ou faux.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Voyez la lettre 3285.