Correspondance de Voltaire/1757/Lettre 3393

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Correspondance de Voltaire/1757
Correspondance : année 1757GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 243-244).

3393. — À M. JEAN SCHOUVALOW.
Des Délices, 11 août.

Monsieur, celle-ci est pour informer Votre Excellence que je lui ai envoyé une esquisse de l’Histoire de l’empire de Russie sous Pierre le Grand, depuis Michel Romanof[1] jusqu’à la bataille de Narva. Il y a des fautes que vous reconnaîtrez aisément. Le nom du troisième ambassadeur qui accompagna l’empereur dans ses voyages est erroné. Il n’était point chancelier, comme le disent les Mémoires de Le Fort, qui sont fautifs en cet endroit. Je ne vous ai envoyé, monsieur, ce léger crayon qu’afin d’obtenir de vous des instructions sur les erreurs où je serais tombé. C’est une peine que vous n’aurez pas sans doute le temps de prendre ; mais il vous sera bien aisé de me faire parvenir les corrections nécessaires. Le manuscrit que j’ai eu l’honneur de vous adresser n’est qu’une tentative pour être instruit par vos ordres. Le paquet a été envoyé à Paris, le 8 (nouveau style), à M. de Becktejef[2], et, en son absence, à monsieur l’ambassadeur[3].

Je me suis muni, monsieur, de tout ce qu’on a écrit sur Pierre le Grand, et je vous avoue que je n’ai rien trouvé qui puisse me donner les lumières que j’aurais désirées. Pas un mot sur l’établissemenl des manufactures, rien sur les communications des fleuves, sur les travaux publics, sur les monnaies, sur la jurisprudence, sur les armées de terre et de mer. Ce ne sont que des compilations très-défectueuses de quelques manifestes, de quelques écrits publics, qui n’ont aucun rapport avec ce qu’a fait Pierre Ier le grand, de nouveau, et d’utile. En un mot, monsieur, ce qui mérite le mieux d’être connu de toutes les nations ne l’est en effet de personne. J’ose vous répéter que rien ne vous fera plus d’honneur, rien ne sera plus digne du règne de l’impératrice que d’ériger ainsi, dans toute la terre, un monument à la gloire de son père. Je ne ferai qu’arranger les pierres de ce grand édifice. Il est vrai que l’histoire de ce grand homme doit être écrite d’une manière intéressante : c’est à quoi je consacrerai tous mes soins. J’observerai d’ailleurs avec la plus grande exactitude tout ce que la vérité et la bienséance exigent. Je vous enverrai tout le manuscrit dès qu’il sera achevé. Je me flatte que ma conduite et mon zèle ne déplairont pas à votre auguste souveraine, sous les auspices de laquelle je travaillerai sans discontinuer, dès que les mémoires nécessaires me seront parvenus.

  1. C’est-à-dire depuis 1613 jusqu’au 30 novembre 1700.
  2. Becktejeff (ou Beckteîeff) figure dans l’Almanach royal de 1757 comme chargé des affaires de l’impératrice Elisabeth auprès de Louis XV.
  3. Le comte de Bestucheff.