Correspondance de Voltaire/1757/Lettre 3394

La bibliothèque libre.
Correspondance de Voltaire/1757
Correspondance : année 1757GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 244-245).

3394. — À MADAME LA MARGRAVE DE BAIREUTH[1].
Aux Délices, août 1757.

Madame, mon cœur est touché plus que jamais de la bonté et de la confiance que Votre Altesse royale daigne me témoigner. Comment ne serais-je pas attendri avec transport ? Je vois que c’est uniquement votre belle âme qui vous rend malheureuse. Je me sens né pour être attaché avec idolâtrie à des esprits supérieurs et sensibles qui pensent comme vous. Vous savez combien, dans le fond, j’ai toujours été attaché au roi votre frère. Plus ma vieillesse est tranquille, plus j’ai renoncé à tout ; plus je me fais une patrie de la retraite, et plus je suis dévoué à ce roi philosophe. Je ne lui écris rien que je ne pense du fond de mon cœur, rien que je ne croie très-vrai ; et, si ma lettre paraît convenable à Votre Altesse royale, je la supplie de la protéger auprès de lui comme les précédentes.

Votre Altesse royale trouvera dans cette lettre des choses qui se rapportent à ce qu’elle a pensé elle-même. Quoique les premières insinuations pour la paix n’aient pas réussi, je suis persuadé qu’elles peuvent enfin avoir du succès.

Permettez que j’ose vous communiquer une de mes idées. J’imagine que le maréchal de Richelieu serait flatté qu’on s’adrossât à lui. Je crois qu’il pense qu’il est nécessaire de tenir une balance, et qu’il serait fort aise que le service du roi son maître s’accordât avec l’intérêt de ses alliés et avec les vôtres. Si, dans l’occasion, vous vouliez le faire sonder[2] cela ne serait pas difficile. Personne ne serait plus propre que M.  de Richelieu à remplir un tel ministère. Je ne prends la liberté d’en parler, madame, que dans la supposition que le roi votre frère fût obligé de prendre ce parti ; et j’ose vous dire qu’en ce cas il vous aurait beaucoup d’obligation, quand même les conjonctures le forceraient à faire des sacrifices. Je hasarde cette idée, non pas comme une proposition, encore moins comme un conseil ; il ne m’appartient pas d’oser en donner, mais comme un simple souhait qui n’a sa source que dans mon zèle.


Voltaire.

  1. Revue française, mars 1866 ; tome XIII, page 360.
  2. Voyez le troisième alinéa de la lettre 3402.