Correspondance de Voltaire/1758/Lettre 3629

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Correspondance de Voltaire/1758
Correspondance : année 1758GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 463-464).

3629. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
Aux Délices, 30 juin.

Mon cher ange, quand j’allais partir pour Manheim, Mme  du Boccage est venue juger entre Genève et Rome, et j’ai retardé mon voyage. On a donné pour elle une représentation de la Femme qui a raison ; elle en a été si contente qu’elle a voulu absolument vous l’apporter. J’ai obéi dès qu’elle m’a prononcé votre nom. Il est vrai que nous n’espérons, ni elle ni moi, que cette pièce soit aussi bien jouée à Paris qu’elle l’a été à Genève, à moins que ce ne soit Préville qui fasse le principal rôle. Vous avez un La Thorillière et un Bonneval[1] qui sont l’antipode du comique. Je suis toujours émerveillé de la disette où vous êtes de gens à talent. Je ne sais si la Femme qui a raison vaut quelque chose, et si l’on n’est pas plus difficile à Paris qu’à Genève. J’ignore surtout si on peut être plaisant à mon âge ; c’est à vous à en décider, à donner la pièce si vous la jugez passable, et à la jeter au feu si vous la croyez mauvaise. Pour Fanime, nous la jouerons encore à Lausanne, s’il vous plaît ; après quoi vous en serez le maître absolu, comme vous l’êtes de l’auteur. Je vais faire un voyage dont je n’ai pu me dispenser ; et le seul voyage que je voudrais faire m’est interdit. Il est triste de courir chez des princes, et de ne pas voir son ami.

J’ai vu enfin les Sept Péchés mortels[2] de M.  de Chauvelin ; c’est le plus aimable damné du monde. Je le remercie du huitième péché mortel qu’il veut faire, en disant à qui vous savez[3] combien je lui suis attaché, etc.

Je me flatte que Mme  d’Argental est en bonne santé. Mes respects à tous les anges. Adieu, mon cher et respectable ami. Je me console toujours de mon voyage, en espérant une lettre de vous à mon retour.

  1. Anne Maurice Le Noir de La Thorillière, reçu à la Comédie française en 1722, mort le 23 octobre 1759. — Bonneval, reçu au même théâtre en janvier 1742, se retira en 1773.
  2. C’est à l’occasion de cette pièce que Voltaire adressa à Mme  de Chauvelin sept vers qui sont dans les Poésies, tome X.
  3. L’abbé de Bernis.