Correspondance de Voltaire/1758/Lettre 3644

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Correspondance de Voltaire/1758
Correspondance : année 1758GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 482-483).

3644. — À M. LE MARQUIS D’ADHÉMAR[1].
(Août 1758.)

Monsir, j’ai bien reçu la gracieuse lettre qu’avez écrite à moi Suisse, concernant la paix générale ou faite ou prête à faire sous la médiation de Son Excellence de Spada. Être une grande tête « monsir Spada ». J’ai vu d’une satisfaction grande que l’on commencerait par pendre plusieurs ministres ; mais je voudrais un peu plus de particularités, par exemple savoir si on les pendra quatre à quatre, ou six à six. Je suis grandement ébahi, monsir, de sti roi qui court la prétantaine, et qui rosse trois grandes nations l’une après l’autre. J’ai écrit à un savant bénédictin, mon cousin issu de germain, pour qu’il lui plaise chercher dans tous ses livres s’il y a mention par hasard d’un pareil homme que sti roi, et j’attends sa réponse. Je croyais avoir approché (sont à présent cinq ans passés) de sti grand homme, mais ce n’était pas celui-là, car vous saurez que celui que j’ai vu avait un visage doux et des grands yeux bleus, et qu’il avait un esprit fort agréable, mon bon monsir, et qu’il disait des bons mots, et qu’il faisait les plus joulies choses du monde tant en prose qu’en vers, tout en se jouant, et qu’il était bien philosophe. Oh ! c’est celui-là que je regretterai toujours, car je suis philosophe aussi, moi, mais par intervalles, et j’aime beaucoup un grand roi qui est tout comme un homme.

Je crois, Dieu me pardonne, mon bon monsir, que j’irai le Voir quand il sera de loisir, car je suis curieux des grandes raretés. Mais je suis si vieux, si vieux, mon bon monsir, et lui si grandement grand, que je n’aurai jamais la force d’aller là. Nous faisons tous les jours des prières pour sa sainte conservation, dans nos saintes églises. Tous nos frères vous donnent le baiser de paix.

  1. Revue française, mars 1866 ; tome XIII, page 870.