Correspondance de Voltaire/1759/Lettre 3875

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Correspondance de Voltaire/1759
Correspondance : année 1759GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 127-128).

3875. — À M. GEORGE KEATE[1],
nandos koffee-house[2], london.
Aux Délices, près de Genève, 20 juin 1759.

Ma mauvaise santé, monsieur, m’a empêché de vous remercier plus tôt ; et me prive même de l’honneur de vous écrire de ma main. J’ai lu avec un très-grand plaisir le mémoire contre les Hollandais ; il me paraît aussi bien fait qu’il puisse l’être. Il me semble qu’on n’écrivait point ainsi autrefois ; les affaires publiques étaient traitées ou avec une sécheresse rebutante, ou avec une emphase ridicule ; vous me paraissez aussi bons écrivains que bons marins.

Votre Milton me devient bien précieux puisqu’il vous a appartenu. Je le conserverai comme un monument de votre amitié. J’ai appris par les papiers publics la mort de M. Falkener, mon ancien ami. J’en suis sensiblement affligé ; ce sera une grande consolation pour moi de retrouver en vous les sentiments dont il m’avait toujours honoré.

Il me semble qu’on imprima l’année passée des mémoires concernant la Russie par le lord Withworth ; si vous aviez un moment à vous je vous supplierais de vouloir bien me dire si ces mémoires sont en effet de ce ministre, et s’ils sont estimés. Je dois supposer, par tout ce qu’on m’en a dit, qu’ils sont assez curieux. Je n’ose vous supplier de me les faire parvenir : il n’y aurait qu’à les envoyer par la poste, par la voie de Hollande, en feuilles, afin que cela n’eût point l’air d’un livre dont la poste ne se chargerait pas. Cet ouvrage m’est plus nécessaire qu’à personne, étant chargé par la cour de Pétersbourg de faire l’histoire de Pierre le Grand. Je commence même à faire imprimer le premier volume ; ainsi il n’y aurait pas un moment à perdre. Je ne sais aucune nouvelle de littérature. Il me paraît que la dernière comète n’a pas fait grand bruit : on est si occupé des affaires de terre et de mer que les célestes sont oubliées de toutes façons.

J’ai l’honneur d’être bien véritablement et de tout mon cœur, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


Voltaire.

  1. Communiquée à l’Illustrated London News, par M. John Henderson, esq., possesseur de l’original, qui est de la main d’un secrétaire. — George Keate, écrivain agréable, était né vers 1729 ou 1730. Il avait habité quelque temps Genève, où il connut Voltaire, et, de retour en Angleterre, il resta en correspondance avec lui.
  2. Nandos Koffee-House était à la pointe est d’Inner Temple-lane, dans Fleet-street, tout près de la boutique de Bernard Lintot, le libraire, (Voyez Cunning-ham’s handbook of London, page 348.)