Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4111

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Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 373-374).

4111. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
30 avril.

Ô ange ! je mets tout sous vos ailes, tout retombera sur vous. Le nœud est bien mince ; Ramire est bien peu de chose. Madame, je suis son mari[1] ; eh ! Nicodème, que ne le disais-tu plus tôt ?

M. le duc de Choiseul semble avoir senti cela comme je le sens ; il m’a écrit une lettre charmante. Mon divin ange, il paraît qu’il vous aime comme vous méritez d’être aimé. Dites-moi, en conscience, aurons-nous la paix ? Vous la voulez ; mais veut-on vous la donner ? est-ce tout de bon ? J’ai plus besoin de la paix que des sifflets. J’aime mieux les Chevalier[2] que Ramire. Il n’y a que deux coups de rabot à donner aux Chevaliers, mais il manque à tout cela un peu de force. Je baisse, je baisse, je fonds ; j’ai acquis de la gaieté, et j’ai perdu du robuste.

Vous vous moquez de moi ; on peut faire quelque chose de Hurtaud. Ce petit drôle-là n’a mis que quinze jours à son œuvre.

Nous allons jouer sur notre théâtre de Ferney, mais je ne peux plus même faire les pères ; j’ai cédé mes rôles ; je suis spectateur bénévole.

Mon cher ange, je deviens bien vieux ; j’ai, je crois, cinq ou six ans plus que vous[3].


Le temps va d’un tel pas qu’on a peine à le suivre.

(Tartuffe, acte I, scène i.)

Je voudrais bien savoir si le chevalier d’Aidie, autre philosophe campagnard de mon âge, est à Paris, comme on me l’a mandé ; serait-il assez lâche pour se démentir à ce point ? au moins je me flatte que c’est pour peu de temps. Vous avez dû recevoir vingt pages[4] de moi l’ordinaire dernier, et je vous écris encore. Les gens qui aiment sont insupportables.

  1. Parodie de ce que Ramire dit à Zulime, dans la tragédie qui porte ce titre, acte V, scène iii, v. 61.
  2. Tancrède.
  3. D’Argental était né le 20 décembre 1700.
  4. La lettre 4109. avec les corrections pour Zulime.