Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4406

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Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 138-139).

4406. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Au château de Ferney, 6 janvier.

Mon cher ange, aidez-moi à venger la patrie de l’insolence anglicane. Un de mes amis, ami intime, a broché ce mémoire[1]. Je m’intéresse à la gloire de Pierre Corneille plus que jamais, depuis que j’ai chez moi sa petite-fille. Voyez si la douce réponse aux Anglais plaît à Mme Scaliger. En ce cas, elle pourrait être imprimée par Prault petit-fils, sous vos auspices ; sinon vous auriez la bonté de me la renvoyer, car je n’ai que ce seul exemplaire. J’attends aussi ce Droit du Seigneur que vous n’aimez point, et que j’ai le malheur d’aimer. Vous m’abandonnez du haut de votre ciel, ô mes anges ! Dites-moi donc ce que vous avez fait de Tancrède, et, de grâce, un petit mot d’Oreste ; après quoi vous daignerez m’apprendre si nous aurons la guerre ou la paix.

À propos de guerre, permettez que je vous parle de peste. Nous sommes menacés de la peste dans notre petit pays de Gex. J’ai pris la liberté de présenter requête contre elle à M. de Courteilles. Je vous supplie d’appuyer mes très-humbles représentations : il s’agit d’un marais plein de serpents, qu’apparemment Fréron, Abraham Chaumeix, Guyon, Gauchat, et les auteurs du Journal chrétien, ont envoyés.

Mais que deviennent les yeux de M. d’Argental ? Je suis plus inquiet d’eux que de ma peste.

Est-il vrai qu’on ait joué à Versailles la Femme qui a raison, et que la reine ait été de l’avis de Fréron ?

Avez-vous lu l’ouvrage[2] évangélique adressé à mon ami Guyon, sur l’Ancien et le Nouveau Testament ? Cela est poivré ; c’est un petit livre excellent. Est-il vrai que le théologien de l’Encyclopèdie, Morellet ou Mords-les, en soit l’auteur ? Quel qu’il soit, son livre est brûlé et bénit.

Comment suis-je avec M. le duc de Choiseul ? Quand revient le vainqueur de Mahon ?

Ayez pitié de moi, vous dis-je, auprès de M. de Courteilles. Il est dur d’être pestiféré dans un château qu’on vient de bâtir.

À l’ombre de vos ailes.


  1. L’Appel à toutes les nations, etc. ; voyez tome XXIV, page 191.
  2. L’Oracle des anciens fidèles : voyez la lettre 4360.