Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4493

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Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 240).
4493. — À M.  DAMILAVILLE.
À Ferney, 19 mars.

Je suis fâché contre M.  Thieriot le paresseux ; je suis enchanté de M.  Damilaville le diligent. Je reçois l’Interprètation de la nature[1], livre auquel je n’avais pu encore parvenir, non plus qu’au sujet qu’il traite. Je vais le lire, et je suis sûr que je trouverai cent traits de lumière dans cet abîme.

Voilà donc Jean-Jacques politique[2] ; nous verrons s’il gouvernera l’Europe comme il a gouverné la maison de Mme  de Wolmar. C’est un étrange fou. Il m’écrivit, il y a un an[3] : Vous avez corrompu la ville de Genêve, pour prix de l’asile quelle vous a donné. Ce pauvre bâtard de Diogène voulait alors se faire valoir parmi ses compatriotes en décriant les spectacles ; et, dans son faux enthousiasme, il s’imaginait que je vivais à Genève, moi qui n’y ai pas couché deux nuits depuis cinq ans. Il a l’insolence de me dire que j’ai un asile à Genève, à moi qui ai pour vassaux plusieurs des magistrats de sa république, parmi lesquels il n’y en a pas un qui ne le regarde comme un insensé. Il m’offense de gaieté de cœur, moi qui lui avais offert non pas un asile, mais ma maison, où il aurait vécu comme mon frère. Je fais juge M.  Diderot, M.  Thieriot, et tous nos amis, du procédé de Jean-Jacques ; et je leur demande si, quand un détracteur de Corneille, de Racine, de Molière, fait un roman dont le héros va au b…, et dont l’héroïne fait un enfant avec son précepteur, il ne mérite pas bien le mépris dont M.  de Ximenès daigne l’accabler[4].

L’abbé Trublet a donc la place du maréchal de Belle-Isle ? vous verrez qu’il n’aura que celle de l’abbé Cotin.

Monsieur Thieriot le paresseux, un petit mot, je vous prie. Quand il faudra écrire à M.  de Courteilles, ordonnez.

  1. Voyez la note, tome XL, page 424.
  2. J.-J. Rousseau venait de publier son Extrait du projet de paix perpétuelle de l’abbé de Saint-Pierre, 1761, in-8°.
  3. Voyez, tome XL, page 423, le dernier alinéa de sa lettre du 17 juin 1760.
  4. Voyez tome XXIV, page 165.