Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4520

La bibliothèque libre.
Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 264-265).

4520. — À M. DUCLOS.
Ferney, 10 avril

Je vous assure, monsieur, que vous me faites grand plaisir en m’apprenant que l’Académie va rendre à la France et à l’Europe le service de publier un recueil de nos auteurs classiques, avec des notes qui fixeront la langue et le goût, deux choses assez inconstantes dans ma volage patrie. Il me semble que Mlle Corneille aurait droit de me bouder, si je ne retenais pas le grand Corneille pour ma part. Je demande donc à l’Académie la permission de prendre cette tâche, en cas que personne ne s’en soit emparé.

Le dessein de l’Académie est-il d’imprimer tous les ouvrages de chaque auteur classique ? Faudra-t-il des notes sur Agésilas et sur Attila, comme sur Cinna et sur Rodogune ? Voulez-vous avoir la bonté de m’instruire des intentions de la compagnie ? Exige-t-elle une critique raisonnée ? Veut-elle qu’on fasse sentir le bon, le médiocre et le mauvais ? qu’on remarque ce qui était autrefois d’usage, et ce qui n’en est plus ? qu’on distingue les licences des fautes ? Et ne propose-t-elle pas un petit modèle auquel il faudra se conformer ? L’ouvrage est-il pressé ? Combien de temps me donnez-vous ?

Puisqu’on veut bien placer ma maigre figure sous le visage rebondi de M.  le cardinal de Bernis, j’aurai l’honneur de vous envoyer incessamment ma petite tête en perruque naissante. L’original aurait bien voulu venir se présenter lui-même, et renouveler à l’Académie son attachement et son respect ; mais les laboureurs, les vignerons et les jardiniers, me font la loi : e nitido fit rusticus[1]. Comptez cependant que, dans le fond de mon cœur, je sais très-bien qu’il vaut mieux vous entendre que de planter des mûriers blancs.

  1. Horace, livre I, l’épître vii, vers 83.